De l’utilité de la longue traîne pour les bibliothèques




Je vous recommande l’article de Chris Anderson, rédacteur en chef de Wired mag, traduit en français et publié par Internet Actu sous le titre initial "La longue queue", mais qui pour des raisons de bienséance publique (!) a été rebaptisé "la longue traîne", et qui d’ailleurs deviendra un livre en 2006.

En substance:
"Arrêtons d’exploiter les quelques Mégatubes au sommet des hit-parades pour gagner des millions. Le futur des marchés culturels réside dans les millions de marchés de niche cachés au fin fond du flux numérique."

en voici un extrait qui me semble particulièrement intéressant:

"Ce qui est vraiment étonnant avec la Longue Traîne est sa taille. En combinant tous les “non-Hits” sur la Longue Traîne, on obtient un marché qui dépasse largement celui des Hits. Prenons par exemple le marché du livre. Barnes & Noble dispose en moyenne de 130 000 titres, or la moitié des ventes effectuées sur Amazon se situe au-delà de ces 130 000 titres.

A en juger par les statistiques d’Amazon, on peut affirmer que le marché des ouvrages absents des librairies moyennes est plus important que celui des livres qu’elles proposent.

En d’autres termes, si nous parvenions à sortir de l’économie de la pénurie, le marché du livre pourrait devenir deux fois plus important de ce qu’il apparaît actuellement. Kevin Laws, capital-risqueur et ancien consultant dans l’industrie musicale, décrit ainsi la situation : « C’est dans les plus faibles ventes qu’il y a le plus d’argent à faire. »

Autrement dit, cet article ne fait que théoriser un phénomène bien connu: celui du bouche à oreille. Mais ce qui me semble important est de mesurer son importance économique et culturelle pour pouvoir l’exploiter à l’aide des moyens technologiques.

L’anatomie de la longue traîne fonctionne avec un système de recommandation du type de celui d’amazon, qui permet de faire découvrir des titres par recommandation et liens vers d’autres titres liés. Par exemple:

 

Pourquoi ne pas intégrer dans les Opac des catalogues quelque chose d’équivalent : ça pourrait donner, pour faire dans la polémique :

J’emprunte Mein Kampf
une mention affiche :
 "les lecteurs qui ont emprunté ce titre on aussi emprunté"

ou "les bibliothécaires vous conseillent":

une étude historique sur le nazisme
Une étude sur le révisionnisme
Une histoire de la seconde guerre mondiale
etc.

Deux logiques pourraient être utilisées:

la logique statistique fondée sur le nombre d’emprunts d’un autre titre corrélé à un autre titre en fonction de critères paramétrables.

La logique que l’on pourrait apeller "logique poldoc" pour mettre en valeur de manière délibérée des titres que l’acquéreur juge liés au sujet, où complémentaires ou offrant un autre regard.

Dans la logique poldoc, les principes d’encyclopédisme et de pluralisme que nous cherchons à promouvoir pourraient ainsi se traduire directement dans le catalogue. Et le travail de constitution d’une collection pourraît être directement mesuré par les statistiques d’emprunts des titres en fonction des liens déterminés entre eux aux choix des acquéreurs…

Pour achever de montrer ce que ça peut donner : allez donc faire un tour sur Gnovies et le même procédé d’association et de recommandation apparaît. D’autres sites proposent le même fonctionnement automatique pour la musique : Pandora. Tout cela me semble dans l’air du temps…

A moins que l’avenir ne soit à des web services tels qu’ils sont présentés par figoblog. Certains modifient complètement l’interface d’Amazon.

Tout cela pourraît être de nature à inspirer les développeurs de Koha par exemple…

De plus, le marché du livre dont on se plaint tant au niveau de la distribution et de la pauvreté des rayonnages des hypers pourrait trouver un second souffle dans la Longue traîne… car n’oublions pas que, comme le rapelle cet article  sur "10,6 millions d’internautes, 45% d’entre eux ont déjà effectué un achat en ligne au 4ème trimestre 2004 contre 38 % au 4ème trimestre 2003. Les acheteurs en ligne ont progressé trois fois plus vite que le nombre d’internautes (+9% d’internautes en un an, +28% d’acheteurs en ligne pendant la même période).

Mieux : interrogés sur la confiance qu’ils accordent aux vendeurs en ligne, 47,5% des internautes se sont dit confiants, contre un tout petit nombre de méfiants. En outre, la confiance croit y compris chez les non acheteurs : au 4ème trimestre 2004, on comptait ainsi 3,7 millions d’internautes n’ayant pas cédé aux sirènes de l’achat en ligne, mais déclarant pour autant avoir confiance dans une telle forme de consommation… "

Si l’on compare ça au fait que (comme c’est mentionné plus haut) le marché des livres absents en librairie est plus important que celui des stocks physiquement accessibles: une multinationale comme Amazon a alors un intérêt économique à « démocratiser la culture ». Démocratiser au sens de l’intégration et de la vente en ligne des petits éditeurs ou des éditeurs indépendants,ou des ouvrages à tirage faibles. Ça laisse rêveur non ?

Ce qui ne doit pas masquer bien sûr les enjeux liés à la présence des librairies indépendantes et aux nécessaires soutiens publics au réseau des librairies.

C’est simplement un point de vue sur l’intérêt des nouvelles technologies pour la diffusion des livres ou des autres biens culturels, tout en soulignant l’importance essentielle du maintien de la loi sur le prix unique des Livres, loi Lang, "première loi de développement durable" comme le faisait remarquer à très juste titre un représentant du Syndicat de la librairie française

Si vous souhaitez en savoir plus : Chris Anderson tient un blog consacré au phénomène de la longue traîne.

fin encore une fois de la session de bibliothéconomie fiction, décidémment ce blog est celui d’un rêveur professionnel…;-)

Silvae

Je suis chargé de la médiation et des innovations numériques à la Bibliothèque Publique d’Information – Centre Pompidou à Paris. Bibliothécaire engagé pour la libre dissémination des savoirs, je suis co-fondateur du collectif SavoirsCom1 – Politiques des Biens communs de la connaissance. Formateur sur les impacts du numériques dans le secteur culturel Les billets que j'écris et ma veille n'engagent en rien mon employeur, sauf précision explicite.

4 réponses

  1. Documentaliste dans une école d’ingénieurs sur Angers, j’ai participé à une formation au cours de laquelle vous êtes intervenu. Ne pourrait-on pas appliquer le concept de longue traîne aux documents rares des bibliothèques, qui pourraient devenir des produits d’appel et être une source de profits ?
    J’ai par ailleurs créé un blog pour mettre à jour les sites Internet que je donne à mes étudiants (angers-documentation.blog…
    Avez-vous trouvé une meilleure solution ? (blog, site…)

  2. bibliobsession dit :

    Pour la première question, il y a des moyens de monétiser une audience à condition qu’elle soit très forte (on parle de dizaines de milliers de visiteurs uniques/jour pour intéresser les annonceurs…), ce n’est pas souvent le cas pour la mise en valeur numérique…encore moins celle des documents rares…quant à la seconde question, cela dépend si vous voulez juste transmettre de l’info en la publiant sur internet, comme avec ce blog, ou si vous souahitez construire un outil participatif, dans ce cas, l’ouverture d’un wiki est intéressante, voire d’un compte sur un site comme del.icio.us

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