Le fantasme de l’autodidacte et celui du technocrate
Extrait de l’arcticle Bibliothèque et autodidaxie de Bruno Dartiguenave dans le BBF 2002 – Paris, t. 47, n° 3
"Les exemples ne manquent pas d’écrivains, de peintres, de journalistes, d’hommes politiques qui, dans le passé, ont connu la célébrité à force de ténacité, en se présentant comme des apprenants permanents : citons, par exemple, Goethe, Benjamin Franklin, Thomas Edison, Maxime Gorki, le Douanier Rousseau, Jack London, etc. Cette réussite du self-made-man s’est accompagnée d’une représentation fantasmatique de l’individu solitaire capable de soulever les montagnes pour parvenir à ses fins, symbole ambigu à la gloire de l’entreprise individuelle (la volonté conditionne la réussite) et de la destinée (des dons cachés justifient le succès). Le thème du déclassé parvenu à gravir l’échelle sociale a également souvent prêté à sourire, et le sociologue Richard Hoggart, lui-même issu du monde ouvrier, souligne que l’aliénation de ces apprenants ancien style n’est jamais aussi claire que lorsqu’ils donnent des preuves de leur culture alors même qu’on ne le leur demande pas, trahissant leur exclusion par le souci même de prouver leur appartenance…"
On a bien envie d’y croire…et si l’on est bibliothécaire on y croit toujours plus ou moins. Il semble pourtant toujours selon l’auteur qu’aujourd’hui le mythe de l’autodidacte, pour lequel la bibliothèque, et donc le bibliothécaire, sont essentiels..hé bien il semble que ce mythe ait du plomb dans l’aile. Car non seulement les autodidactes sont en voie de disparition mais en plus ils n’ont plus les bibliothécaires qui leur servaient de guides (des guides pour des autodidactes? ah bon?)
Et d’en donner une cause qui confine à son tour au fantasme:
"Mais la vague gestionnaire qui pénètre le secteur culturel avec son vocabulaire, ses références idéologiques et ses utopies accorde une grande importance aux informations quantitatives pour évaluer l’activité d’un service. Elle structure ainsi les missions, l’organisation et l’organigramme d’un équipement culturel en accordant une part prépondérante aux outils statistiques et à la formalisation des procédures de gestion. De ce fait, cette orientation contribue à éloigner le bibliothécaire du contenu de ses collections"
L’opposition est ainsi posée entre les bons bibliothécaires supposés "militants" (c’est à dire savant et pas encore trop individualistes ou post-modernes) qui étaient donc potes avec l’autodidacte du coin et les méchants technocrates ou, pire, les bibliogeeks qui ont des graphiques Excel à la place du coeur et ne jurent que par la politique documentaire…et qui en plus sont peu culturés les bougres!
Cette distinction entre militants et technocrates était d’ailleurs également ressortie dans les résultats de l’enquête menée sur les "générations de bibliothécaires" dans un précédent BBF par Dominique Lahary. Preuve que le fantasme est bien réel. Et qu’il reste du boulot pour montrer que la démarche de politique documentaire n’est pas "over-rationnelle" mais qu’elle s’inscrit dans une perspective beaucoup plus large: celle de l’efficacité des politiques publiques.
Tout ça me laisse perplexe…non pas que les représentations ne soient pas importantes mais de là à faire le lien entre la (prétendue) disparition des autodidactes et celles de la disparition des biblio-militants…le pas est abrupt voire abusif.
Pour ma part: je ne me revendique d’aucune catégorie ou étiquette autre que celle de bibliobsédé. Na!
Dernière info un journée d’étude à eu lieu sur le thème de l’autoformation dans les bibliothèques le 5 décembre l’ADDNB présente l’enquête (document ppt) réalisée en 2005 sur les espaces d’autoformation dans les bibliothèques. Réagissez sur le forum de l’ADDNB si le sujet vous intéresse!