Démocratiser et/ou rendre accessible?


En écho au message de Thierry Giappiconi (qui sans aucun doute élève le "débat" de biblio-fr sur la culture légitime, ne serait-ce qu’en citant Jaurès!), je vous livre  sans trop de commentaires un extrait qui me semble intéressant du Que-sais-je? de Pierre Mouliner sur les Politiques publiques de la culture (merci Isabelle!).

Je ne fais que vous livrer hein, ce ne sont pas de fermes prises de position bibliobsessionelles, mais juste des points de vues…

Rares sont les responsables de politiques culturelles, ministres ou élus locaux, qui précisent ce qu’ils visent quand ils parlent de démocratisation ou d’élargissement du public. Recherche-t-on la diversification sociologique des consommateurs de culture, l’augmentation de leur nombre, une meilleure qualité de cette consommation, ou bien ne cherche-t-on qu’à permettre à chacun de vivre sa propre culture?

Les chiffres du DEP montrent qu’il y a échec dans l’élargissement du public puisque la consommation culturelle n’est pas répandue à égalité dans toutes les classes sociales. Mais il convient d’ajouter que n’est considérée comme consommation culturelle que celle des produits estampillés comme tels par les pouvoirs publics dont l’approche est rebutante pour un grand nombre de français. Certains sociologues suggèrent d’abandonner le thème et le mot démocratisation qui reste très vague sur les objectifs poursuivis (augmenter la fréquentation ou élargir le public?) et qui ne prend comme pierre de touche que la "sortie culturelle", la fréquentation des équipements culturels sans aucune référence aux pratiques amateurs ou aux pratiques à domicile.

Alors qu’il existe une hiérarchie des valeurs artistiques, peut-on espérer que tous adhèrent? L’égalitarisme suppose-t-il l’homogénéïté des consommations, l’uniformité des pratiques? (…) Doit-on élargir le public ou diversifier les produits qui lui sont offerts ? C’est un des dilemnes de toute stratégie de développement culturel.

C’est pourquoi certains préfèrent parler d’accessibilité. Rendre accessible, ce n’est pas viser l’utopie de l’accession des couches sociales défavorisées à un bien qui ne les concernent pas, c’est comme le souhaitait André Malraux, offrir à tous la possibilité d’y accéder. Si élargissement il y a, il est quantitatif et non sociologique. Sans se soucier de stratégie de conquête de nouveaux publics, il s’agit simplement d’élargir l’offre de pratiquer une politique intelligente de marketing culturel pour accroître le nombre de consommateurs, de placer des points de contacts avec les biens culturels sur la plus grande partie du territoire. S’il est rare que les pouvoirs publics revendiquent cette approche qui tend à favoriser les amateurs de biens culturels, et eux seuls, constatons que c’est pour l’essentiel la politique de public qui a été menée tant par l’état que par les collectivités teritoriales.

J’ajouterai pour compléter et approfondir ce commentaire de Thierry Giappiconi sur la récente (et très optimiste!) étude du Crédoc qui illustre tout à fait cette problématique de l’accessiblité en lieu et place d’une démocratisation comme volonté d’élargissement des publics dans une perspective de réponse à des enjeux sociaux. 

Il semble que l’on se félicite du fait que la bibliothèque "a aujourd’hui l’image d’un lieu culturel familier, dans la proximité immédiate du lieu de résidence". Mais peut-on s’en satisfaire ?

N’aurait-il pas convenu de tenter d’aller plus loin, c’est à dire d’évaluer les effets et les impacts de la politique de développement des bibliothèques dans l’esprit d’une démarche d’évaluation des politiques publiques qui, selon la circulaire du 28 décembre 1998 : "Vise à comparer les résultats d’une politique aux moyens qu’elle met en oeuvre qu’ils soient juridiques, administratifs ou financiers et aux objectifs initialement fixés [et qui] se distingue du contrôle et du travail d’inspection en ce qu’elle doit aboutir en un jugement partagé sur l’efficacité de cette politique et non à la simple vérification des normes administratives et techniques »

Cette question nous renvoie à la question de savoir si l’objectif était seulement la fréquentation, voire la banalisation de la bibliothèque, ou bien si cette attente de résultats n’était qu’une composante de la mesure des effets et les impacts de cette fréquentation à partir d’un certain nombre de problèmes de société préalablement identifiés, puis au regard d’objectifs pertinemment définis

J’aurais par exemple été intéressé de savoir, de même que sans doute la plupart de mes collègues et les responsables des collectivités locales, ce que traduisent ces résultats au regard des missions de la bibliothèque.

Même « les objectifs initialement fixés » peuvent être très variables d’un établissement à l’autre il pourrait par exemple être intéressant de savoir :

Quel est l’impact (social, économique) de l’action des bibliothèques sur la lecture des oeuvres artistiques et scientifiques au regard de la diffusion commerciale ? – dans quelle mesure la bibliothèque publique contribue t-elle à la lutte contre l’échec scolaire à l’école et dans le premier cycle universitaire (problématique qui regarde, rappelons, le 65% d’une classe d’âge), et par effet induit à l’insertion sociale ? – dans quelle mesure la bibliothèque contribue t-elle à la formation permanente, et par effet induit au développement économique et à l’emploi ? – dans ces deux derniers questionnements, quelles sont les parts respectives de la sélection documentaire, de la fonction de médiation et des équipements ?

Il me semble important de préciser que l’ambition d’un élargissement des publics ne s’oppose pas à des modalités d’accès et de valorisation à l’offre documentaire de la bibliothèque qui soient efficaces (au contraire, l’un sert l’autre, le problème c’est que l’un à tendance à effacer l’autre ou à lui servir d’alibi). Ces modalités d’accès à l’offre de "l’outil-appelé-bibliothèque" sur un territoire sont très larges : horaires, services, médiation numérique et/ou humaine, partenariats, communication, action culturelle, etc.

voir aussi le
dossier "Connaître les publics" dans le dernier numéro du BBF, et plus particulièrement le très intéressant article de Bertrand Calenge intitulé : Du comment au pour quoi, connaître les publics de la bibliothèque municipale de Lyon

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