La musique dématérialisée et les bibliothèques : Que se passe-t-il? Que fait-on?
Voici une synthèse de la journée d’étude qui a eu lieu en mai 2007, pour laquelle j’étais pigiste bénévole pour le BBF. Je publie donc ce billet, avec l’aimable autorisation (comme on dit) de cette vénérable revue et de son rédac’chef (qui, pour la petite histoire, a été majordome avant d’être conservateur de bibliothèques. Nan rien à voir avec la journée, c’est juste en passant 🙂
Au fait j’ai mis les liens vers les interventions sous le nom des intervenants (lorsque qu’elles sont en ligne)
je vous invite également à lire le point de vue (iconoclaste et pertinente) de Bruno David (Bibliothèque Municipale d’Eaubonne) sur cette journée. Par ailleurs, toutes les présentations sont en ligne sur le site de Cible 95
LA MEDIATHEQUE DEMATERIALISEE; 1. LA MUSIQUE
Cette journée organisée par le Conseil général du Val d’Oise, l’ADIAM Val d’Oise, l’association Cible 95 inaugure un cycle de rencontres et de débats autour des mutations amenées par le numérique et ses impacts sur l’activité des bibliothèques. Le découpage opportun entre deux questions : « que se passe-t-il ? » d’une part et « que fait-on ? » d’autre part a permis de bien cerner le contexte et d’aborder concrètement les expérimentations qui existent aujourd’hui. La forte affluence provocant un changement de salle en dit long sur les attentes très fortes de la profession.
Que se passe-t-il ?
La première intervention de Gérôme Guibert, docteur en sociologie (laboratoire Lise, CNRS-Cnam) a très bien resitué les mutations encours dans leur contexte historique. Ce que l’on a facilement tendance à qualifier de ruptures sont plutôt des continuités. Les innovations techniques sont soumises à des (ré)approprations, des détournements qui parfois les écartent des usages prévus, dans un dialogue permanent entre l’offre et la demande. Pour les œuvres culturelles, chacun « braconne » selon ses propres choix, comme l’avait formulé Michel de Certeau. A la mort annoncée du CD, on peut ainsi opposer les usages nouveaux des disques vinyles. A ceux qui déplorent la perte du format esthétique qu’est l’album, il est bon de rappeler que son invention est toute récente (après 1968) et que les pratiques et les modes d’écoute de la musique n’ont jamais été stables dans l’histoire. Xavier Galaup et Gilles Rettel ont d’ailleurs mis en évidence le fait que la musique se pense et se diffuse aujourd’hui comme un flux.
L’émergence du web 2.0 dont l’un des aspects est le développement des applications et du stockage en ligne de fichier, couplée à l’émergence de communautés d’amateurs parfois très pointues dans des domaines musicaux dits de « niches » n’est pas sans poser question aux bibliothèques. En effet, les modèles économiques reposent désormais non seulement sur la mise à disposition de fichiers accessibles très souvent en streaming mais également sur des fonctionnalités de recommandations et de médiation. Ainsi des sites comme Pandora ou Lastfm, pour ne citer que les plus connus, sont de véritables radios personnalisées qui s’adaptent aux préférences de leurs auditeurs et permettent de découvrir des artistes et des œuvres de manière très efficace, par capillarité ou sérendipité si l’on préfère.
De manière globale, le temps passé sur le web prend une part de plus en plus importante au sein des pratiques numériques des français. Gilles Rettel souligne l’augmentation spectaculaire des capacités de stockage et des fonctionnalités de partage en ligne ainsi que l’émergence de nouveaux supports comme les disques durs multimédias ne nécessitant même plus d’ordinateur pour diffuser les contenus audiovisuels qu’ils stockent.
Loin d’être pessimiste, Xavier Galaup plaide pour un positionnement plus affirmé car selon lui « il n’y a pas assez de musique dans les bibliothèques », il est nécessaire de « documenter » nos fonds pour en développer la médiation. Face à des communautés très pointues sur des genres ou des courants musicaux, il lui semble important de nous positionner aussi en tant que généralistes en valorisant la découverte et l’éclectisme de nos collections auprès des publics. A nous également d’être attentifs aux problématiques de conservation des oeuvres et des supports.
Borey Sok, blogueur et auteur de " Musique 2.0 " a présenté avec enthousiasme les mutations des modes d’écoutes et les relations entre les communautés d’amateurs (ou de fans) et les artistes. Aujourd’hui, les publics jeunes sont très demandeurs d’expériences musicales, notamment en live. Les attentes se déplacent ainsi de l’œuvre en elle-même à l’adhésion à un univers, à des valeurs ou à la personnalité d’un artiste. Celui-ci trouve dans les moyens d’expression du web l’occasion de tisser de vrais liens de proximité avec son public le plus fidèle. Les blogueurs y jouent un rôle d’importance en se faisant les médiateurs des artistes qu’ils admirent et certains deviennent de véritables découvreurs de talents. Quelques exemples récents montrent qu’il est possible pour un artiste émergeant, moyennant une dose de talent, de temps et un usage intelligent des outils du web 2.0, de construire sa notoriété par ces moyens. La monétisation de ces effets de réseaux et des ces communautés est au cœur de nouveaux modèles économiques centrés sur la co-création de valeur qui exploitent ce gigantesque bouche à oreille numérique mondial.
Dans ce contexte, les bibliothèques doivent réaliser qu’elles ne sont qu’un des maillons de la chaîne culturelle (mais en a t-il été un jour autrement ?) Et qui plus est de l’extraordinaire diversité de ce que l’on trouve sur la toile. A elles de trouver des voies d’expérimentation afin de proposer une offre et d’adapter leurs outils et leurs pratiques aux attentes des publics.
Que fait-on ?
Expérimenter, c’est ce que fait la Médiathèque de Troyes, notamment grâce aux services de téléchargement de musique et de contenus numériques proposés par Ithèque que présente le directeur Louis Burle.
Mais force est de constater que cette expérimentation, si elle a le mérite d’exister, ne rencontre pas le succès escompté comme en témoigne le faible nombre d’abonnés à Troyes ou à Montpellier (environ 180…). Il est vrai que la faiblesse du catalogue et le modèle proposé aux bibliothèques par Naxos ou Ithèque, qui s’appuie sur des fichiers chronodégradables et le contrôle de l’usage par des DRM est en voie d’abandon pour les offres grand public…
A l’heure actuelle, l’absence d’offres fiables destinées aux bibliothèques laisse à penser qu’il est prématuré de proposer des offres de téléchargement de fichiers aux usagers, la filière musicale étant elle-même à la recherche de nouveaux modèles permettant notamment d’assurer un financement à la création. Yves Alix le rappelle en dressant un panorama aussi clair que possible d’une situation juridique complexe, contraignante et contradictoire vis à vis des pratiques.
Il n’en reste pas moins nécessaire, comme le souligne Louis Burle, que les réflexions soient portées à un niveau national et les efforts mutualisés pour faire émerger des offres plus satisfaisantes.
En attendant, d’autres voies sont possibles, notamment en ce qui concerne l’écoute de musique sur place. C’est un des services présenté par Marie-Christine Jacquinet, directrice de la bibliothèque municipale de Viroflay (78) à partir d’une réflexion sur le nomadisme et l’examen de services similaires mis en œuvre dans le domaine de l’hôtellerie. Dans l’enceinte de la bibliothèque, sont prêtés aux usagers des casques sans-fil permettant l’écoute à la carte de programmes musicaux sélectionnés par les bibliothécaires.
Nicolas Blondeau de la médiathèque de Dole présente quant à lui un projet de borne de téléchargement de fichiers sur supports numériques à partir de sites sélectionnés. Ce dispositif permettra d’approfondir le service de « photocopieuse numérique » qui existe déjà à Dole de manière indirecte : le personnel de la bibliothèque fournit in situ des contenus libres ou en libre accès sur les supports numériques (clés USB, CD, etc.) que lui confie les usagers.
Ces projets illustrent une des tendances à l’œuvre, celle de faire de la bibliothèque un lieu d’expérience musicale. A l’heure où les pratiques donnent une place très importante au « live » et à la mobilité, il est intéressant de repenser le rôle et les moyens de la bibliothèque comme lieu et source de l’écoute sur place.
En matière de médiation via les sites Internet, Nicolas Blondeau présente le blog Médiamus, outil permettant d’éditorialiser les contenus musicaux et à faciliter la veille des usagers comme des équipes. La valorisation des artistes locaux et le soutien au spectacle vivant est la voie explorée par le projet E-music box initié par l’Espace culture multimédia et construit avec la médiathèque de Limoges et présenté par Manuela Geirnaert. Destiné à mieux faire connaître des groupes émergeants, ce site comporte là encore un aspect éditorial important.
Au final, cette passionnante journée aura montré l’ampleur de mutations à l’œuvre et tracé quelques voies d’avenir. S’il fallait en citer deux, il s’agirait de la bibliothèque comme lieu d’expérience musicale et de la bibliothèque comme un des nœuds du réseau, où la musique est documentée. Laissons les derniers mots à Dominique Lahary affirmant que là où le braconnage et la dissonance sont de rigueur : « A nous de revenir aux politiques publiques pour mieux les réinventer. »
Bonjour, j’étais le sociologue premier intervenant à la journée "la bibliothèque dématérialisée" dont le compte rendu est en ligne (je l’ai vu aussi sur Wikio.fr) , merci beaucoup pour votre texte. Simplement pour vous dire que mon prénom est avec un "G" et non un "J" et que mon afiliation est Lise, CNRS-Cnam mais que je ne suis plus à l’université Paris XIII… Si vous pouviez enlever cette affiliation et corriger la première lettre de mon prénom. Merci beaucoup. Gérome
oups, voilà les corrections sont faites! 😉 (Gérôme avec un G c’est rare ça, ça doit même pas avoir de fête dans le calendrier…:-))
A propos du fameux service Ithèque qui semble attirer bien de l’attention, il ne semble effectivement guère susciter d’engouement auprès des utilisateurs (cf. http://www.acim.asso.fr/spip.php... Il faut dire aussi que les dirigeants de ce service font beaucoup de vent, affichant des bibliothèques qui ne proposent même pas le service a leurs usagers (comme celles de Montréal par exemple).
Crédulité des bibliothécaires qui cherchent avec désespoir un nouveau souffle et parte a la chasse aux chimères? Et l’usager dans tout cela?
Le projet mis en place par la Bibliothèque francophone multimédia est « L’e-music box », et non pas « e-music box ». Le « L » est important car cela permet de faire référence à la sonorité « lim », c’est à dire au limousin.
@ Adrien, merci pour l’info! 🙂