Je suis tombé complètement par hasard en visitant l’excellent portail engagé Rezo sur ce message du Bloc-note du désordre intitulé explicitement : La bibliothèque de ma ville n’est pas contente après moi…
L’auteur a publié en effet une page intitulée : les "cds que j’emprunte à la bibliothèque de la ville où j’habite" cette page très chouette (visuellement parlant) présente des photos de pochettes de cd gravés. Derrière chaque pochette se trouve un lien vers un fichier mp3…librement téléchargeable…en toute illégalité bien sûr.
Il raconte comme la rencontre houleuse avec la bibliothécaire de sa ville :
La bibliothèque de ma ville n’est pas contente après moi. Plus exactement sa bibliothécaire qui a découvert cette page qui fait partie de l’autoportrait en carrés. J’étais donc convoqué pour avoir une explication. A vrai dire le ton a vite tourné à l’aigre parce que j’ai eu affaire à une personne, très autoritaire, qui s’était mise en tête qu’elle m’ordonnerait — son verbe — de faire disparaître cette page, ce dont il n’est naturellement pas question, ou encore d’en modifier le titre, ce que j’aurais volontiers consenti à une personne qui se serait montrée courtoise et diplomate. J’ai vite compris à qui j’avais affaire en expliquant à cette bibliothécaire donc, que l’activité de copier les disques que l’on emprunte à la bibliothèque municipale n’est pas, comme elle le soutient, illégale, puisque dans le prix d’un CD vierge, comme de tout autre support vierge, est contenue une taxe qui est reversée aux sociétés de protection des droits d’auteurs, la SPADEM et la SACEM, ces sociétés ne pouvant légalement pas toucher une redevance sur une activité illégale, mon interlocutrice à court d’arguments m’a alors "ordonné" de changer le contenu de cette page, ce que je refuse de faire, sans quoi, donc, elle me "menace" — décidément cette personne a le verbe lourd — de poursuites judiciaires.
Je passe volontiers sur cette attitude de collaboration volontaire à un système qui est malhonnête, parce que la discussion avec un aussi piètre interlocuteur est nécessairement stérile et sans but.
Bon profitons donc de la rentrée pour faire le point sur cette situation tellement banale du point de vue des habitudes des usagers qui copient allègrement les sources que nous leur fournissons…, faisons le point à partir de ce cas avec la tête froide. (j’ignore d’ailleurs de quelle bibliothèque il s’agit).
Ce qui est sûr c’est que l’attitude de cet internaute est illégale. Sans entrer dans les détails, la copie privée est une exception au droit d’auteur, comme le rappel souvent Yves Alix, notre bien aimé docteur en droit des bibliothèques. En fait, ce qui est permis c’est de copier une oeuvre à son usage strictement privé. Toute mise à disposition en dehors du cercle privé est strictement interdite sans autorisation des ayants droits! Là en mettant les mp3 en accès libre sans aucune autorisation c’est clairement un acte illégal et très risqué, car très visible, le blog est connu…
Quand à l’argument de la taxe sur les supports de copie, ce n’est pas ce qui règle le pb, sinon le téléchargement serait légalisé par cette licence légale qui ne dit pas son nom. Il faut bel et bien l’admettre (et le faire admettre) : les ayants droits cherchent à gagner sur la rémunération des téléchargements ET sur les taxes pour les supports numériques, ce qui est à juste titre régulièrement dénoncé par UFC Que-choisir et d’autres associations de consommateurs.
Il y a en fait toujours une incertitude juridique par rapport à l’origine de la copie. (le problème de la "licéité de la copie" en langage juridique, histoire de vous filer un mot clé efficace pour vos recherches sur ce sujet..:-)).
En effet, on peut télécharger une oeuvre sur un réseau de P2P même si on n’a pas acheté l’oeuvre, ce qui rend le download (le fait de copier le fichier sur son disque) légal, mais pas l’upload (le fait de laisser les autres venir le chercher sur le répertoire de fichiers que l’on partage) car l’upload est assimilable à une mise à disposition à tout le réseau donc bien au delà du cercle privé…On comprend bien que le point essentiel est celui de l’origine de la copie et la question cruciale celle de savoir si l’on peut copier une oeuvre que l’on a pas acheté voire trouvée n’importe où : y compris dans une bibliothèque…!
La réponse semblait être oui dans la jurisprudence de la cour d’appel de Montpellier en 2005 mais elle est remise en cause depuis 2006 comme indiqué ci-dessous (voir ici pour les détails de l’affaire) :
Petite déception pour ceux qui attendaient une réponse « définitive » sur la légalité du téléchargement pour un usage privé. L’arrêt de la Cour d’appel de Montpellier ayant relaxé un internaute qui téléchargeait des œuvres cinématographiques est cassé, mais uniquement pour une question de procédure.
L’arrêt de la Cour de cassation du 30 mai 2006 ne donne donc aucune réponse à la question « le téléchargement constitue-t-il un acte de copie privée quelle que soit l’origine de la copie ?».
Depuis la DADVSI est passée par là et c’est l’arrivée du fameux test en 3 Etapes (source) :
Afin de pouvoir profiter des exceptions au droit d’auteur, chaque utilisation de l’œuvre protégée doit passer l’examen du test « en trois étapes ».
Ainsi, seules les utilisations énumérées par l’article L.122-5 du CPI (1ère étape), qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre (2e étape), ni ne cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur (3e étape), pourront s’effectuer sans autorisation de l’auteur. (…)
L’introduction de ce test dans le CPI est facteur d’incertitude. Il permet de remettre en cause, a posteriori, les exceptions au droit d’auteur prévues à l’article L.122-5 du CPI. En pratique, il n’est pas évident de définir ce qu’est exactement une « exploitation normale » de l’œuvre.
En clair, la question de l’origine de la copie n’est pas tranchée, elle le sera par la jurisprudence…Rappelons donc utilement que, s’il est très probable que dans ces conditions, un usager accusé d’avoir copié à partir d’une bibliothèque puise être jugé coupable d’avoir porté atteinte à l’"exploitation normale de l’oeuvre" (d’autant que les droits de prêts sont négociés) c’est aller loin d’interdire toute copie privée des oeuvres des bibliothèques dans nos règlements intérieurs…
Et puis je ne vois pas pourquoi la bibliothèque pourrait être tenue pour responsable des pratiques privées de ses usagers…ou alors cela déboucherait sur une remise en cause de l’activité de prêt en soi, et là c’est une autre histoire!
Cependant il est prudent à mon avis de rappeler ces points de manière pédagogique aux usagers (affichettes, etc.) tout en sachant qu’il est illusoire et inutile de créer des problèmes avec les usagers sur ces questions, ou, pire, de faire des exemples. Entrer dans une stratégie répressive alors notre rôle de bibliothécaire est fragile et que les usagers sont très sensibles aux abus d’un système assimilé à tort ou à raison aux institutions publiques dont nous faisons partie est à mon avis contre-productif, voire dangeureux. Ce qui ne veux pas dire encourager ces pratiques de copies, juste à mon avis les tolérer sans en faire trop.
Pour conclure, je dirai que l’internaute en question se met en danger tout seul via son site, mais que le problème est le sien et pas vraiment celui de la bibliothèque…jouons donc notre rôle de manière didactique, expliquons les équilibres nécessaires, les incertitudes, les décalages entre le droit et les pratiques, et les dérives nombreuses de droit de la propriété intellectuelle et artistique…!
Rien de très satisfaisant là-dedans je vous l’accorde, mais bon l’année qui vient apportera surement son lot de nouveautés et de remises en cause de DADVSI qui de l’avis de nombre de juristes reste innapplicable en l’état.