Pourquoi les bibliothèques doivent être gratuites : démonstration

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ceci est un vrai serpent de mer…impressionnant hein! 🙂

Bon ben je vais faire dans le serpent de mer de la profession pour commencer l’année.

Ma position : Il faut que les bibliothèques soient complètement gratuites pour tous les supports et pour tous les publics!

Bien sûr le prix de l’abonnement à la bibliothèque est un choix des élus (mais nous avons aussi une fonction d’aide à la décision…); bien sûr il est faible et beaucoup de gens sont exonérés. Justement.

En général les arguments en faveur du paiement sont assez idéologiques, au mauvais sens du terme ou alors vaguement psycho-sociologiques (du type : payer ça responsabilise…ah bon? les bibliothèques gratuites ont un taux de vols et de dégradations qui explose? qui l’a montré? où sont les chiffres?)

Or J’avais retenu une démonstation d’un strict point de vue des sciences de la gestion, avancée par Thierry Giappiconi qui me semble très convaincante.

Dans la norme ISO 11620 « mesure des performances des bibliothèques » (sur laquelle dans un monde bien fait tout SIGB devrait se baser pour proposer des statistiques en un clic de souris, mais bon noël c’est fini…) figure l’indicateur suivant :

Indicateur : Coût par usager = dépenses de fonctionnement sur une année budgétaire/nombre d’usagers (efficience)

Cet indicateur mesure l’optimisation des moyens alloués en fonction du résultat qu’on veut obtenir (= efficience). Ici on dira que le résultat souhaité est un nombre d’adhérents élevés et des dépenses faibles. Autrement dit plus le coût par usager est faible et plus la bibliothèque est utilisée, donc plus l’argent public est bien utilisé, de ce point de vue.

Si l’on considère comme bien souvent que le nombre d’usager = nombre d’adhérents payants (même si l’on sait que c’est inexact, mais admettons), chacun reconnaîtra que les frais de gestion des inscriptions payantes sont élevés. En effet, il faut additionner le temps de travail passé par les bibliothécaires à inscrire les gens et à encaisser les recettes, le temps passé à gérer les caisses (faire les comptes pfffff), celui passé aux rendez-vous avec le trésor public, sans oublier le coût des primes consenties aux régisseurs et l’achat d’un coffre fort! Tout cela représente les charges de fonctionnement importantes. (et du temps passé à ne pas faire de médiation…)

Or on sera aussi d’accord pour dire que les recettes sont marginales puisque les sommes payées par chaque usager sont faibles et que beaucoup sont exonérés. (en moyenne, 30% des usagers paient si l’on retranche les exemptions)

Si l’on reprend notre indicateur d’efficience (rappel : l’efficience mesure l’optimisation des moyens alloués pour obtenir un résultat) en considérant qu’une partie des charges de fonctionnement est compensée par les recettes des insciptions, on obtient:

(charges de fonctionnement fortes) – (recettes des inscriptions faibles) = dépenses de fonctionnement fortes donc = coût par usager très important!

CQFD.

A l’inverse, si l’on supprime les coûts de fonctionnement des inscriptions et que l’on refait un calcul global : le coût par  usager est beaucoup plus faible, et la bibliothèque en tant qu’investissement d’intérêt général (et non d’intérêt municipal ce qui justifie souvent une discimination communale dans la tarification qui alourdit encore plus les coûts de fonctionnement) est utilisée par un nombre plus important d’usagers. (ce qui n’est pas une fin en soi hein, mais un bon début quand même!)

Voici des exemple issu de la liste biblio-fr lors d’un des innombrables débats sur ce sujet (mais je n’ai pas la référence exacte des messages)

  • La BM d’Autun est passée de la gratuité à la tarification en janvier 1988. Elle a perdu 30% de ses inscrits
  • BM de Tours (123 820 habitants, recensement 1999) : La municipalité a fait le choix de la gratuité totale à partir de janvier 2001. Le nombre d’inscrits adultes et enfants est passé de 25000 à 35000, (passage de 20% à 28% de la population), le nombre de prêts a doublé en 3 ans

Voilà qui sonne comme une sorte d’appel en ces temps de campagne municipale….:-) A bon entendeur.

Silvae

Je suis chargé de la médiation et des innovations numériques à la Bibliothèque Publique d’Information – Centre Pompidou à Paris. Bibliothécaire engagé pour la libre dissémination des savoirs, je suis co-fondateur du collectif SavoirsCom1 – Politiques des Biens communs de la connaissance. Formateur sur les impacts du numériques dans le secteur culturel Les billets que j'écris et ma veille n'engagent en rien mon employeur, sauf précision explicite.

31 réponses

  1. J’en étais déjà convaincu. Merci de cette démonstration supplémentaire.

  2. Ben de rien, elle a le mérite de pouvoir convaincre des élus 😉 (je connais des collègues dont ça a été le cas)

  3. Sof dit :

    Effectivement… Ca mérite de se pencher plus a fond sur la question mais présenté comme ça c’est clair comme de l’eau de source.
    Pour comparer avec ce qui n’est pas comparable (:)) transposée aux BU, cette question mériterait de se demander à l’inverse si en faisant payer sonnant et trébuchant à l’inscription (et non intégré aux droite à l’Université) on ne gagnerais pas une obligation psychologique d’emprunter… Le sujet mérite discussion.

  4. mouais, les arguments « psychologiques » ne me satisfont pas…à ce moment là, il me semble plus efficace et plus efficient de mettre en oeuvre une comunication adaptée et destinée à informer sur ce que nous sommes : des services publics, tant il est vrai que les usagers ne le perçoivent pas toujours…

  5. Renton dit :

    Bonjour. Je suis moi aussi convaincu du fait que les bibliothèques doivent être gratuites. Pour autant, je vais me faire l’avocat du diable en envisageant que je ne le suis pas.
    Et pour le coup… cette démonstration est loin d’être aussi réussie que si elle est lue par quelqu’un d’acquis à la cause (c’est d’ailleur le propre de toute argumentation, puisque c’est de celà dont il s’agit et en aucun cas de démonstration).
    Quelques points sont à discuter. par exemple…
    1 – Lorsque vous demandez des chiffres à l’appui, il faut absolument veiller à étayer vous aussi votre thèse avec des chiffres exploitables. Les exemples de fin de billet sont au nombre de deux, et ils sont partisants. Il y a fort à parier que DEUX autres exemples partisants puissent étayer la thèse inverse. Il faut des chiffres nationaux, ou, à défaut, en nombre suffisant pour prétendre refléter d’une réalité d’ensemble.
    2 – Beaucoup de bibliothèques ou médiathèques proposent des animations. Certaines d’entre elles, notamment dans la médiathèque ou je travaille) sont payantes. Dans ce cas, toute la partie argumentaire sur le coût de l’agent, le temps passé à comptabiliser, le coût du coffre etc etc.. s’en trouve totalement invalidée.
    … bon, je continue pas, puisque, je le répète, je suis CONVAINCU que les médiathèques doivent être gratuites. Mais je pense aussi que si l’on veut bien convaincre, il faut que TOUS les rouages d’un argumentaire soient fonctionnels. Si un seul est grippé.. c’est à travers le prisme de ce loupé que votre interlocuteur invalidera TOUT votre raisonnement. En gros, n’utilisez pas cette « démonstration » avec un élu qui a du répondant et qui peut réfléchir, sinon, vous risquez de prendre une douche froide… ceci dit, je sais qu’en général, les élus à la culture étant triés sur le volet…;-)

  6. @ Renton : réponse au point 1. Les chiffres fournis sont effectivement destiné à appuyer ma démonstration. En revanche, pour le « camp adverse » (les méchants) je n’ai pour ma part jamais vu de chiffres. Ma démonstration (ou argumentation si vous y tenez) est un point de départ à une étude plus approfondie, il va de soi que quiconque voulant l’utiliser pour convaincre un élu devrait l’étayer encore plus. (d’ailleurs vous en avez d’autres vous des chiffres, pour appuyer notre camp, (celui des gentils? 🙂 ) Hé les gentils bibliothécaires dont la bibliothèque est gratuite, donnez nous vos chiffres! 🙂

    Réponse au point 2 : j’ai travaillé sur tout un département et fréquenté pas mal de bibliothèques : très rares sont les bibliothèques qui font payer les animations, et quand elle le font, l’adhésion n’est pas gratuite.

    Dites, ya pas un conservateur ou un bibliothécaire qui a fait une étude sur le sujet parmi ceux qui lisent ces lignes ?

    • Gibbs dit :

      Effectivement, élève-conservateur à l'ENSSIB, je vais faire mon mémoire d'étude sur ce sujet (c'est d'ailleurs pour cette raison que je suis actuellement sur Bibliobsession !). Et je vous confirme, sorti d'articles de presse, de collaborations diverses, et de billets sur Internet, qu'aucune synthèse n'a jamais été faite sur ce thème. Toutes vos interventions sont donc précieuses pour moi, elles ne pourront qu'alimenter ma réflexion (dont vous serez tenus au courrant en temps et en heure, comme il se doit).

  7. Renton dit :

    La médiathèque dans laquelle je bosse propose une adhésion gratuite… mais par exemple, les master-classes qui y sont organisés sont payants.. et tenez vous bien.; à 8 € ( un petit malin a laissé entendre à nos élus, pour se faire bien voir, que plus c’était cher, plus c’était crédible… pour une animation proposée gratuitement dans toutes les FNAC de france..). Pour la gratuité, je crois qu’il s’agit d’un débat d’idées, et que rien n’est démontrable.; ni pour les gentils, ni pour les méchants 😉
    Ceci dit, il est toujours possible d’ironiser lorsqu’on parle de rentrées d’argent dans le cadre culturel, et de faire parler les chiffres comme on le veut (quel élu aura l’esprit critique assez aiguisé pour venir contredire des bilans partisants habilement déguisés) En d’autre termes, n’hésitons pas à être malhonnêtes pour faire aboutir notre point de vue, qui va dans l’intérêt général : la gratuité sans conditions !
    Donc, vous vous en apercevez, je me contredis.. vos arguments sont bien valables une fois cette prise de position effectuée 😉

  8. Sylvie dit :

    Bonjour,
    Juste un petit mot un peu provoc. J’ai toujours peur qu’au nom de l’efficacité, de l’efficience et autres concepts de management, on supprime des postes, y compris peu valorisants comme les inscriptions, les perceptions d’adhésion- meme si j’y suis opposée- et que, se faisant, on délite les liens, les passerelles entre les fonctionnaires habitant la commune et les habitants .
    A force d’externaliser, de rationaliser, on risque de réduire les emplois et donc le tissu social de proximité.
    Qu’en pensez-vous ?

  9. Marianne dit :

    Bonjour !
    J’avais déjà lu cette démonstration sur la liste de diffusion, et l’originalité de l’argumentation (non-idéologique) m’avait déjà séduite à l’époque. Des bibliothèques gratuites pour tous, quel bibliothécaire n’en rêve pas ? (non, ne me donnez pas de nom, je préfère rester dans ma douce et béate idéalisation de la profession …).
    Bonne soirée !

  10. Discobloguons dit :

    « Juste un petit mot un peu provoc. J’ai toujours peur qu’au nom de l’efficacité, de l’efficience et autres concepts de management, on supprime des postes, y compris peu valorisants comme les inscriptions, »

    Je ne vois pas en quoi la gratuité supprimerait l’inscription, nécessaire d’une part (comme son nom l’indique) pour inscrire le nouvel usager, et surtout pour lui résumer brièvement le fonctionnement/règlement de l’établissement.
    Imaginons un système totalement gratuit, et donc sans amendes pour retard. Qu’avons-nous sous la main pour encourager nos usagers à ramener leurs documents ? Entre autres, un système déjà utilisé par de nombreuses BU : le blocage de la carte passé un certain retard. Pas de nouveau prêt pendant X temps. M’est avis que dans pas mal d’endroits, les gens préfèrent payer une amende et continuer à emprunter.
    Quoi qu’il en soit ce n’est pas mon avis de petite main de catégorie B qui aura une grosse importance dans ce genre de décision ; le poids se situe plutot au conseil municipal (et à la direction évidemment).

  11. Sophie dit :

    Arghhh ! une bibliothèque gratuite !
    Plus de régies à gérer, Plus d’angoisses pour savoir si le fonds de caisse va tomber juste, ne plus se promener avec des centaines d’euros en espérant ne pas se faire voler son sac, et l’angoisse du coffre-fort dont le collègue parano change la serrure souvent parce qu’il a peur que l’on finisse par deviner les touches usagées et que vous êtes incapables de vous souvenir d’un code à part celui de votre carte bleue… Comment pourrait-on se passer de moments si riches et si intenses ?
    Une bibliothèque gratuite proposant un service gratuit, mais comment diable allons-nous responsabiliser les usagers ? C’est l’argument souvent entendu : Faire payer une inscription permet de « responsabiliser »

  12. @ Sylvie : d’accord avec vous, ces outils sont précieux, mais ils tranchent des deux côtés…

    @ Marianne : nous sommes au moins deux à en rêver!

    @ Discobloguons : il ne s’agit pas de supprimer l’inscription, mais juste l’acte de paiement. La question des amendes est effectivement importante…ma religion n’est pas faite sur ce point, et je me demande encore ce qui est le plus efficace (et non pas efficient cette fois)… l’amende (qui se transforme en prêt payé pour certains et qui est peu efficiente) la suspension du droit de prêt, (qui fait littéralement fuir des usagers) rien du tout (qui est le porte ouverte à toutes les fenêtres…)?
    Quant à votre avis, il est précieux parce qu’il est issu de la pratique, mais le choix, évidemment en revient aux élus, qui décident cependant, (dans un monde bien fait) avec nos conseils….

  13. dbourion dit :

    Des bibliothèques gratuites, et puis quoi encore ?? On diffuse le savoir à tout le monde gratuitement, on cultive, on sème le savoir et un jour, la plèbe envahit les golfs… Mais vous êtes inconscients ou quoi ?? 😉

  14. ahhh j’adore ton humour le taiseux bavard! 🙂 (sincèrement hein)

  15. Archeos dit :

    En passant, vous évoquez la discrimination dans les tarifs proposés aux usagers qui se fait selon le lieu d’habitation (hors commune). J’ai entendu parler d’une réglementation européenne qui l’interdirait (car ces médiathèques sont en général financées à 80 % par les échelons allant du département à l’Europe) mais je n’en trouve pas trace. Est-ce que quelqu’un en as aussi entendu parler ?

    • Gibbs dit :

      Bonjour,
      vous faites référence à une jurisprudence de la Cour de Justice européenne qui date de 2003 sur les tarifs préférentiels. Elle pourrait à l'heure actuelle s'appliquer telle quelle en France si les élus le voulaient le bien, mais très peu d'entre eux connaissent ce texte (et souhaitent le connaitre…). Certains pays, comme l'Italie, l'ont transposée. Maintenant, des usagers -non résidents) qui en auraient connaissance pourrait très bien y faire référence, mais vous imaginez les délais de rcours…Voici le lien vers la synthèse faite pas le site Carrefour Local (lien un peu long mais valide) : http://carrefourlocal.senat.fr/cgi-bin/ihttpDispl

  16. Ivo dit :

    Si la bibliothèque est un instrument social qui ne joue qu’imparfaitement son rôle, se doter des outils de massification ira vers une démocratisation sociale au service d’une démocratisation culturelle. L’essence même d’une bibliothèque publique, c’est la mutualisation (un budget commun pour acquérir des documents à la disposition de tous) et l’incitation dans un espace collectif (entrée sans contrainte). La rationalisation des tâches (moins de catalogage par récupération des notices, moins de personnel mobilisé à faire du prêt grâce à l’automatisation des prêts – RFID, donc ouverture élargie avec du personnel plus qualifié…) accroît la performance. D’où une approche qui s’intéresse à l’utilisation des dépenses plutôt que strictement aux recettes budgétaires, sachant que les recettes provenant des inscriptions représentent moins de 4 % du budget global de fonctionnement en dépenses (hors fluides). L’instauration de la gratuité augmente le nombre de bénéficiaires d’où une bibliothèque moins coûteuse pour plus de monde – coût/usager plus bas pour une qualité supérieure.

  17. @ archeos: ça me dit quelque chose aussi, mais je n’ai pas la référence…qui l’a? (les théâtres font ça aussi d’ailleurs, la discrimination communale)

    @Ivo : c’est exactement ce que je voulais dire. Merci pour cette reformulation! 🙂

  18. archeos dit :

    Merci, au moins ça me confirme que ça existe. Les sites de l’UE sont un peu fouillis je trouve.

  19. liberlibri dit :

    Personnellement, c’est plutôt le lifeguard qui m’impressionne…
    Entièrement d’accord pour la gratuité. Quand on vous annonce la gratuité, vous vous inscrivez aussitôt et vous empruntez dans la foulée. Quand on vous annonce 35 euros pour le prêt de CD/DVD, vous dites « je vais réfléchir » et, au moment où j’écris, vous réfléchissez toujours…

  20. Antoine dit :

    Pour compléter la discussion je vous joins un début de réponse proposée à mes élus lors d’une discussion autour des tarifs de notre bibliothèque.

    Et pourtant une cotisation rapporte de l’argent à la commune.

    Les études montrent que les recettes d’inscription couvrent en moyenne 1 à 2 % des dépenses annuelles de fonctionnement d’une bibliothèque. La mise en place d’une régie entraîne un surcout financier (achat d’un coffre-fort, prime pour le régisseur, assurance) et diminue l’efficacité du service rendu (tenue des bons de régies et de la comptabilité, transport de la régie au trésor public…). Les recettes dégagées par la régie couvrent tout juste les frais de mise en place et de gestion, en alourdissant parallèlement les procédures de gestion. Enfin, instaurer la gratuité du prêt contribue à augmenter la fréquentation de la bibliothèque, ce qui permet à la fois de valoriser l’image de la commune mais aussi de bénéficier de financements extérieurs plus importants.

    Et pourtant aujourd’hui rien n’est gratuit ? Le cinéma, le théâtre…

    Par sa nature même la bibliothèque publique, joue un rôle dans la formation, l’information et l’éducation des citoyens. En cela elle est très proche de l’école publique, laïque et gratuite. Ses missions ne peuvent être mises sur le même plan que ces établissements culturels qui ont avant tout un rôle de divertissement. Ainsi, selon le Manifeste de l’IFLA/UNESCO sur la bibliothèque publique : « Les services de la bibliothèque publique sont en principe gratuits ». Faire payer les usagers pour des services et pour l’inscription à la bibliothèque ne doit pas devenir une source de revenus pour les bibliothèques, sinon la possibilité ou non de payer deviendra un critère d’accès. Cela irait à l’encontre du principe fondamental selon lequel la bibliothèque publique est ouverte à tous. Mais force est de reconnaître que dans certaines bibliothèques des droits d’inscription sont perçus, de même que des frais pour certains services spécifiques. Ceux qui sont incapables de payer se voient donc inévitablement refuser l’accès à la bibliothèque.

    Une cotisation au prix d’un paquet de cigarettes ?

    1. Lutter contre les inégalités financières
    Lorsqu’une bibliothèque instaure un droit d’inscription elle établit une discrimination de fait. Il va de soi que toute une population lisant peu ou mal, illettrée ou analphabète, ne viendra pas cotiser pour lire, chose que justement elle ne sait, n’aime ou n’ose pas faire. D’autre part si toute une partie de la population ne fréquente pas la bibliothèque, une commune rurale comme BIP! a-t-elle vocation à financer les besoins d’une population aisée, tout en écartant ceux qui en ont réellement besoin et n’ont aucun autre accès à la culture ?

    2. Lutter contre l’inégalité ville/campagne
    Il est essentiel de favoriser l’accessibilité de tous à la bibliothèque. Dans le cas contraire, nous creuserions encore plus l’écart ville/campagne à l’heure où certaines villes reviennent à la gratuité de leurs équipements culturels reconnaissant par là l’intérêt, pour tous, de favoriser l’éducation et l’accompagnement des jeunes et de leurs familles.

    3. Un centre d’information local véritablement ouvert à tous
    Certaines personnes n’ont besoin de la bibliothèque que de manière très ponctuelle : préparation d’un exposé, d’un voyage, participation à un concours… La bibliothèque offre également une égalité de chance aux enfants qui ne disposent pas de documentation chez eux. Il va de soi que la gratuité est alors décisive et peut être l’occasion à la fois d’offrir un vrai service et de fidéliser ces personnes et leur famille.

    4. Lutter contre l’illettrisme
    Quelques chiffres : selon une enquête réalisée par le groupe permanent de lutte contre l’illettrisme (GPLI), environ 10 % des enfants qui entrent en 6e ont de sérieuses difficultés de lecture et de compréhension et 20 % au moins maîtrisent fort mal la lecture, et ceci concerne des adultes d’origine française, élevés dans la langue française. Or l’illettrisme n’est pas seulement un problème d’éducation et de culture, mais est essentiellement un problème de vie sociale. Toute personne qui ne maîtrise pas la lecture se trouve face à des difficultés multiples d’ordre professionnel, familial, financier et social. C’est donc bien une des formes les plus radicales de l’inégalité avec des risques de marginalisation accrus. Il existe par exemple une corrélation forte entre le chômage de longue durée et l’illettrisme. D’où l’attention récente des pouvoirs publics qui font de la lutte contre l’illettrisme une cause nationale. Dans cette perspective il est évident que l’accès gratuit au livre et à la lecture s’impose.

    Une cotisation responsabilise l’usager.

    Les communes qui ont fait le choix de la gratuité ne constatent pas plus de vols ou de détériorations de leurs documents. En matière de responsabilité, l’élément le plus déterminant est l’attitude affichée par la bibliothèque face aux comportements des usagers. L’équipe doit adopter une attitude commune et rigoureuse et montrer aux usagers qu’elle prend soin de ses documents par un contrôle strict lors des retours, par des lettres de relances régulières, en proposant des documents bien entretenus et en demandant, le cas échéant, l’échange des documents abîmés. Et tout naturellement les usagers prendront soin des documents mis à leur disposition.

  21. @ Antoine : Belle argumentation, merci de la partager ici! 🙂

  22. Anne dit :

    J’enrage de ne pas avoir lu tout ça avant, car le sujet du concours de bibliothécaire territorial (interne) fut celui-là ! J’avais navigué sur les sites « officiels » sans rien voir sur le sujet, et c’est aujourd’hui Mr Google qui gagne encore et m’ envoie vers vous…En tout cas merci pour tous ces riches échanges qui me serviront quand même, car convaincue moi aussi !

  23. Antoine000000 dit :

    Hum, je vais vous piquer vos arguments pour tenter – pour la 4ème année – de faire instaurer la gratuité dans la médiathèque de la commune où je travaille par les élus…. Si avec ça, ça ne marche pas, alors là, je jette l’éponge !! Enfin non.

  24. Nicolasd dit :

    Vous parlez d’efficience en baissant le coût/usager, c’est purement artificiel puisque la gratuité offre un effet d’opportunité à court terme. De plus, avoir un indicateur de performance dans ce domaine m’interpelle. Je serai d’accord avec vous si cela avait des effets à long terme. J’imagine que oui à condition d’avoir un service de qualité et gratuit.
    Selon vous comment évaluer la qualité? Aussi, l’évaluation d’une politique publique doit également mesurer la pertinence, et l’efficacité.

    Une bibliothèque numérique (gratuite) est déjà une première étape intéressante pour les villes frileuses? non?
    Merci pour votre article.

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