Bernard Strainchamps est le weblibraire responsable de Bibliosurf, librairie exclusivement sur le web. Il a animé le site Mauvais genres, bien connu des bibliothécaires. Lui -même bibliothécaire en détachement, il assure des formations et des prestations informatiques auprès des bibliothéques. J’ai voulu lui poser quelques questions pour en savoir plus sur son parcours atypique et recueillir son regard sur ce monde du livre en pleine mutation numérique.
Bernard Strainchamps a aussi eu la gentillesse de m’aider à migrer mon blog de dotclear à wordpress, et m’héberge également merci à lui, en échange d’une bannière de pub qui est la seule et unique de ce blog.
A propos, j’en profite pour dire que j’ai remis en ligne l‘interview d’un autre Bernard, Bernard Majour qui avait disparue suite à la migration de mon blog sous WordPress. Désolé pour cette disparition momentannée Bernard!
Mais c’est l’autre Bernard qui est à l’honneur aujourd’hui :
Bernard Strainchamps, j’ai ouï dire que vous avez eu une autre vie avant d’être un weblibraire…parlez nous de votre parcours dans le monde des bibliothèques ?
Je me considère toujours comme un bibliothécaire. Je suis juste détaché !-; J’ai greffé la vente en
ligne sur une expérience de médiation, c’est tout. En 1995, j’ai découvert l’informatique en bibliothèque – en cuisine (mon premier métier), ce n’est pas encore nécessaire de programmer – puis Internet, en 1997. Ce fut untremplin, une géniale découverte … mais qui a aussi compliqué mon parcours en bibliothèque. Lors de mon premier poste, j’ai créé un système pour envoyer les lettres de rappel semi-automatiquement. Imbécile heureux, je pensais que mes collègues apprécieraient. J’ai été poussé vers la sortie. Deuxième poste, j’ai créé Mauvais genres. A chaque article qui paraissait dans un journal, j’étais convoqué pour un entretien houleux… Lors de mon troisième poste, j’ai créé un intranet, quand le directeur pratiquait la division et disait à l’un une chose à l’autre une autre sans jamais rien écrire. Le quatrième poste, j’ai été embauché pour fermer des cartons…
Quel regard portez vous sur l’expérience Mauvais Genres, rétrospectivement?
Ce fut 6 ans d’expériences. Un laboratoire… avec les mains dans le cambouis. J’ai appris énormément des autres, et
je reste assez fier d’avoir su créer un site qui fédérait tous les professionnels du livre et les lecteurs. C’était une
belle toile d’araignée tissée avec passion et sans aucune technique de marketing. Et les centaines de personnes qui participaient ne contribuaient pas pour avoir un nombre grandissime d’amis au compteur.
Vous avez désormais un regard extérieur sur le monde des bibliothèques…comment celui-ci vous apparait-il?
Il est sans doute différent. Je travaille avec des bibliothécaires qui font appel à moi. Je n’ai plus l’angoisse de savoir ce que va devenir le métier de bibliothécaire et ce que je vais devenir dans une structure fermée. Bibliothécaire est un métier en pleine évolution. Je pense qu’il va de plus en plus se confondre avec celui de journaliste et d’éditeur. L’ autonomie des lecteurs encouragée par le développement du libre accès au document est devenu une réalité grâce à Internet. On assiste en direct à la bibliothéconomisation de la société !
J’espère surtout que les collègues vont développer des compétences plus culturelles que techniques et résister
au discours ambiant et trop facile qui veut transformer l’usager en client. Autrement, ce sera la fin. Au moins des bibliothèques
publiques.
Comment êtes vous alors devenu weblibraire? Pourquoi avoir choisi la librairie-en-ligne et pas une boutique?
Libraire, c’est un métier. Et ouvrir aujourd’hui une boutique à Paris avec 10 000 exemplaires, c’est du domaine de
l’impossible pour quelqu’un qui n’a pas une fortune de côté. Et sans doute vain. La librairie virtuelle, c’est un premier pas qui n’engage à rien. Et qui ouvre mille perspectives.
Comment la vie d’un weblibraire se passe-t-elle au quotidien?
Imaginez ! En moins d’un an, j’ai saisi 7500 notices dans la base, sans fournisseur ! C’est un vrai travail de fourmi qui prend énormément de temps. Or je devrais consacrer moins d’un mi-temps à la librairie. Car ce qui permet aujourd’hui de me payer, de payer les charges et l’expert comptable, c’est la création de sites internet et la formation professionnelle. Dans le cahier des charges, j’ai prévu 20 jours de formation par an et 4 sites internet. Alors que je ne pensais pas atteindre les 20 000 euros de prestation de service, je vais les dépasser sans problème, sans avoir même à prospecter.
Une journée de libraire, c’est saisir des données, indexer des flux rss, repérer des articles, modérer des forums, interviewer des auteurs (il y a plus de 100 interviews sur Bibliosurf), créer des guides de lecteur. Je suis d’ailleurs très fier du petit dernier. Répondre aux clients, aller à la SFL, poster les colis, ça prend
à peine une douzaine d’heures par semaine.
Pensez vous que l’avenir de la librairie est en ligne? et de quelle manière? serez vous associé aux projets de portails de librairies?
Je n’ai jamais été contacté par le SLF. Un jour, « on m’a dit » qu’un libraire sur Internet, c’est un simple gestionnaire de catalogue. Du coup, j’ai un peu déliré autour de ce thème sur le blog des libraires de Libération. En fait, je veux bien répondre à cette question… mais comme conseiller rémunéré !-;
Je ne crois pas au guichet unique si ce n’est un système qui dit que le titre est disponible et propose ensuite au client d’opter pour une librairie proche de chez lui. Le portail des libraires, ce devrait être Dilicom, une base des librairies et quelques lignes de code en php programmées par un gamin de 15 ans. C’est tout.
Une récente polémique oppose le Syndicat de la livrairie française et Amazon à propos des frais de ports…que
pensez vous de cette question?
J’en pense rien de bon. Amazon cherche l’étouffement. Il contacte toutes les librairies de France pour proposer ses services. Même moi, ils ont osé. J’ai été heureux de la condamnation d’Amazon. La livraison gratuite que je pratique contraint et forcé me divise ma marge brute par deux.
Quel regard avez vous sur l’évolution de la chaîne du livre à l’heure du numérique?
DRM. Guichet unique de téléchargement ? Ce sont des options régressives qui ne sentent pas bons. Le papier est un support qui n’a pas dit son dernier mot. Et contrairement, à ce que certains écrivent, il est plus écolo.
Le numérique, c’est une nouvelle voie. Et je ne suis pas sûr qu’il faille appeler ce support papier électronique. Ce sont les quotidiens, les premiers touchés par les précédentes révolutions technologiques dénommées radio, télé et Internet, qui vont s’emparer de ce support. Ce sera la revanche. Mais tout reste à inventer ! En tout cas, il n’est pas difficile de prévoir que ce support entraînera de grands bouleversements dans la gestion des fonds en bibliothèque. Sera-ce le cauchemar du bibliothécaire? Bien sûr que non si ce n’est pour les décideurs qui pensent encore comme en 1995.