Bibliothèques : passer de l’ère logistique à l’ère de la médiation

hkgg.jpg

(Comme je n’assisterai pas à la journée sur la médiation du 20 mars 2008 à la Roche-sur-Yon, voici un billet sur le sujet, ce sera ma modeste contribution au débat…)

« Le bibliothécaire est-il un médiateur ? » C’est la très bonne question que pose Olivier Chourrot de la BPI dans le BBF Déjà commenté par Francis sur le biblioblog Un petit cabanon. Je ne peux que vous recommander la lecture de cet article intéressant et les commentaires sur le blog pré-cité…

Au final, Olivier Chourrot retient la médiation « moteur du désir » qui implique une relation différenciée aux publics. La médiation est alors une forme d’accompagnement, favorisée par exemple par l’aménagement intérieur de la bibliothèque:

À Birmingham, au Royaume-Uni, certains bibliothécaires ont été formés à l’accompagnement approfondi des usagers, dans le cadre de la requalification de la bibliothèque en « learning centre ». À Rotterdam, les bureaux d’information « face to face » ont été supprimés au profit de la généralisation d’un service public volant, « side to side », mettant l’accent sur l’accompagnement personnalisé. Dans les Idea Stores londoniens, l’offre documentaire s’enrichit d’un vaste programme de formation présentielle et d’autoformation, faisant de la bibliothèque un centre de vie ouvert sur tous les besoins de la vie quotidienne.

Si l’article est éclairant dans la typologie qu’il dresse des différentes formes de médiations, il ne parvient pas véritablement à éliminer le flou qui entoure la notion et à trancher la question de départ, refusant à la fois de « fonctionnariser » (entendre « institutionnaliser ») la médiation comme d’en rester à sa conception romantique…

Il me semble pourtant que la médiation est bien la recherche de dispositifs permettant de faire se rencontrer l’offre et la demande documentaire. A cet égard, je crois qu’elle fait partie intégrante de notre métier (tout comme l’action culturelle, dont elle est partie prenante). L’émergence d’Internet a d’abord fait croire que tous allions nous passer des médiateurs, puis ceux-ci sont revenus de manière très forte sous la forme de services numériques de recommandation plus ou moins automatisés. C’est l’ère du « si vous avez aimé cela, je vous conseille aussi ceci », l’ère en quelque sorte de la dissémination des leaders d’opinion. Aujourd’hui, ce qui est valorisé, c’est le conseil, la proximité, la personnalisation et la recommandation, bien au delà des bibliothécaires.

La bonne nouvelle, c’est que dans ces mutations, nous, bibliothécaires et assimilés, sommes loin de « perdre » les valeurs essentielles de notre culture professionnelle, c’est à dire la conscience d’avoir un rôle à la fois en terme d’information de formation et de culture, soit d’un point de vue culturel en terme de « passeurs », soit d’un point de vue plutôt informationnel en terme « d’assistant à la recherche de l’information ». D’ailleurs une des valeurs essentielles liée à l’économie de l’abondance repérée par Chris Anderson lui-même devient :

La trouvabilité. C’est-à-dire la capacité à rendre visible une copie, une oeuvre… Dans un océan de données, nous paierons pour les outils où les personnes qui vont rendre visible ou trouvable ce que l’on cherche. Les éditeurs, critiques, labels ont encore un rôle à jouer.

Notre rôle se recompose donc au sein d’un écosystème dont nous ne serons jamais le centre. Force est de constater que les bibliothécaires ne sont pas au centre du jeu, il ne l’ont jamais été, il ne le seront sans doute jamais. Cela ne veut pas dire que nous n’avons pas un rôle à jouer, bien au contraire. Dans l’économie de la longue traîne, les médiateurs que nous sommes participent de la valorisation de niches culturelles, au même titre que n’importe quel amateur éclairé. (si,si)

La question est : quel est alors l’avantage (non exclusif) du bibliothécaire dans l’ère du Web 2.0? A mon avis il repose presque entier dans une ressource de plus en plus rare : le temps d’attention que le bibliothécaire peut consacrer à un domaine spécifique et la manière dont il peut le restituer à ceux qui en ont besoin.

D’où l’importance de comprendre qu’il nous faut passer de l’ère logistique, (je prête, je catalogue, etc.) à l’ère de l’édition de contenu et de la médiation (je crée des contenus, des évènements, des supports de médiation, je veille pour moi et pour d’autres, je participe ou anime des communautés thématique et/ou locales, je réponds à des questions, etc.) Attention, je ne dis pas que les bibliothèques ne font pas de médiation aujourd’hui, je dis que ce n’est pas leur activité principale…

En effet, à l’heure où l’information circule très vite, où l’actualité est prédominante, notre métier se distingue par une confrontation avec une offre thématique de manière constante et obligatoire (en tant qu’acquéreur, il nous faut veiller sur les parutions éditoriales et l’actualité de notre domaine). On perçoit ici toute la fécondité de l’approche par départements thématiques, promue dans les bibliothèques depuis les années 90 sur le mode « mettons en oeuvre des politiques documentaires ». (Merci Thierry Giappiconi et Bertrand Calenge!). Car les bibliothèques qui ont suivi ce mouvement sont celles qui ont des organisations et les compétences les plus efficaces pour transformer peu à peu les « pôles de gestion des collections dans un domaine documentaire » vers des « pôles de gestion, de production et de médiation de contenus dans un domaine documentaire ». C’est le chemin que suivent peu à peu deux des collectivités les plus avancées aujourd’hui dans le secteur de la lecture publique : le SAN Ouest provence et le réseau des bibliothèques municipales lyonnaises.

Ainsi, il nous revient de faire de la médiation une activité concrète, une tâche parmi d’autres de notre travail quotidien. Il ne s’agit pas ce faisant de la « fonctionnariser », mais de se donner les moyens de valoriser et d’approfondir la facette la plus intéressante de notre métier. Car loin d’être des prescripteurs de documents-médicaments-pour-usagers-en-détresse, il s’agit toujours de faire des choix de documents et/ou de contenus culturels, mais aussi de les exprimer, les assumer. Ce faisant, les bibliothèques entreront par le contenu dans un jeu culturel plus global. Mais ce n’est qu’à condition de se montrer productrices d’information, qu’elle pourront susciter des interactions. Encore une fois : rien ne change, mais tout change…

Car il faut sans doute aussi considérer que la médiation n’est plus forcément une activité d’humain à humain de manière directe. Cette activité qui vise à guider, à donner envie, ou à faire découvrir ou tout simplement à trouver une information passe par de nombreux dispositifs. La médiation « moteur du désir » peut ainsi passer par un algorithme bien pensé (une des questions est alors de rendre le plus efficace possible les moteurs de recommandation), par le conseil d’un ami, par un site internet, un blog, par la participation à une communauté littéraire, ou encore par un conseil à la banque de prêt…toujours dans un rapport de proximité avec des usagers. Qu’elle soit numérique ou pas, la médiation repose sur une valeur essentielle : la confiance. (aujourd’hui, on peut aussi avoir confiance dans des services numériques de recommandation.)

Nous avons finalement un « double devoir » : celui de prendre le temps de veiller sur des ressources d’un domaine thématique (nous devons le trouver..) et celui de créer des dispositifs de médiation, à partir de contenus. En y réfléchissant, ces deux fonctions rapprochent singulièrement notre métier de celui de journaliste…si la bibliothèque reste bibliothèque, au fond, elle s’éditorialise.



Quitter la version mobile