Pour une identité et une stratégie numérique des bibliothèques

Il y a quelques temps, Kotkot remarquait avec raison que les réseaux sociaux ne sont pas intéressants en soi, mais surtout par ce que les bibliothèques peuvent y faire…Autrement dit, je pense qu’il faut plaider pour une identité et une stratégie numérique des bibliothèques.
En effet, la récente enquête du Crédoc pose le constat suivant :
Devant les progrès d’Internet, les bibliothèques ont perdu du terrain dans leur rôle de centre de ressources documentaires. Quand ils ont à chercher des informations pratiques, pour le bricolage, la cuisine, le jardinage, les Français citent d’abord Internet (26 %) plutôt que d’aller en bibliothèque (7 %) : celle-ci vient au quatrième rang des lieux et modes de recherche, après les grandes surfaces et le réseau relationnel. Il en va de même quand ils veulent aider leurs enfants dans leurs études (49 % privilégient Internet, 19% vont en bibliothèque).
Un tel constat, s’il interroge notre rôle, n’invalide pas pour autant l’importance de l’équipement public que représente la bibliothèque. Véritable lieu d’échanges, de rencontre et de sociabilité, la bibliothèque est bien plus qu’un établissement de prêt. En effet, la même enquête souligne que :
De 1989 à 2005, la part de la population allant dans les bibliothèques publiques est passée de 23% à 43 %, alors que dans le même temps, la fréquentation des cinémas et des musées est restée stable (50 % et 33 % respectivement). Au sein des bibliothèques publiques, ce sont les bibliothèques municipales qui occupent le premier plan : 72 % des Français de 15 ans et plus ont déjà eu l’occasion d’en fréquenter une.
Ainsi, la question est moins de savoir si les usages d’Internet vont faire baisser la fréquentation des bibliothèques que celle de positionner les ressources et les services des bibliothèques sur Internet pour que les publics puissent y faire appel.
Comme le montre l’évolution générale des pratiques numériques (L’institut de sondage ComScore indique que les principaux sites de réseaux sociaux auraient attiré plus de 13,2 millions de visiteurs uniques en juillet 2007, ce qui représentant un taux de pénétration de plus de 50% de la population ayant accès à Internet), les Français passent de plus en plus de temps sur Internet et en particulier sur des réseaux sociaux qui fonctionnent notamment grâce au principe de la « recommandation », bouche-à-oreille transposé sur Internet. Or le bouche-à-oreille est un vecteur central de diffusion de la culture. Une bibliothèque est donc susceptible de s’inscrire sur certains de ces sites afin d’y diffuser des contenus (avis, critiques commentaires, parcours de lectures, etc.) par ailleurs produits par les bibliothécaires et présents sur le site de la bibliothèque.
En outre, il est important de comprendre pourquoi, à l’image de nombreux autres de réseaux de bibliothèques, une partie des publics ne profite pas de l’offre mise à disposition. Une des hypothèses reconnue dans cette enquête nationale et souvent vérifiée par la suite tient à l’image de l’institution en tant que telle.
Pour des raisons culturelles, beaucoup de ceux qui ne fréquentent pas les médiathèques ont une idée très vague de ce que « la bibliothèque » peut leur proposer.
La présence des bibliothèques sur des réseaux sociaux, loin d’être une concession à l’air du temps, répond en réalité à un double constat :
- Les sites institutionnels des médiathèques, si attractifs soient-ils ne s’adressent au fond qu’à des lecteurs déjà sensibilisés et/ou fréquentant les bibliothèques. Développer une diffusion de contenus produits par les bibliothécaires sur des sites non institutionnels et très fréquentés est susceptible de susciter des curiosités. Cela peut représenter la première étape de l’usage des services proposés et de la construction de parcours dans les collections.
- Ces « réseaux sociaux » sur Internet étant ouvert à tous, ergonomique et attractifs, leur usage les bibliothèques est de nature à délivrer aux internautes une image moderne et attractive de l’institution. Inversement, la mention de la participation culturelle des bibliothèques à de tels sites auprès de nos usagers est susceptible de donner une image attractive. Enfin, le web 2.0 se caractérisant par une très grande facilité de l’échange de données, ces réseaux sociaux au-delà des contenus produits par les bibliothécaires, permettraient d’enrichir le site de la bibliothèque de manière en y intégrant des données sélectionnées en provenance d’autres sites. (via des widgets par exemple)
Concrètement, cela suppose de définir une identité numérique pour la bibliothèque. Les réseaux sociaux comportent en effet un profil propre à chaque membre se composant a minima d’un nom et d’une image. Celui d’une bibliothèque pourrait se composer du logo et d’un nom à définir, institutionnel ou non. Cette identité numérique peut permettre de diffuser de manière cohérente les contenus sur des sites prédéfinis.
Car le personnel des bibliothèques publiques (via des offices, ou pas) dans son ensemble émet déjà, chacun dans son coin, des « avis de bibliothécaires » sur une bonne partie de la production éditoriale française…Pourquoi ne pas capitaliser ces avis de manière globale ou par bibliothèque et les diffuser, à la fois sur son catalogue, mais aussi sur d’autres sites?
Ainsi, le choix des réseaux de diffusion des contenus produits par les bibliothèques est issu de la définition de la stratégie de médiation numérique de chaque établissement. Il s’agit dès lors de définir des critères de sélection des réseaux sur lesquels la bibliothèque souhaite intervenir. Le débat autour de Facebook peut être situé dans cette problématique, la bibliothèque pouvant choisir d’intervenir sur des réseaux à vocation strictement culturelle, ou pas. Une coordination et une modération des contenus diffusés doit bien sûr être assurée par un bibliothécaire.
Voici une liste de Réseaux sociaux auxquels une bibliothèque pourrait participer (liste indicative et non exhaustive):
- Zazieweb : Ce site est d’échanges autour de la littérature contemporaine existe depuis 1996 et compte des dizaines de milliers de contributeurs. Il s’agit d’un site de critiques de livres particulièrement adapté à la diffusion, par exemple de critiques de livres dans le domaine de la littérature adulte. La création d’un profil est gratuite. De nombreux bibliothécaires interviennent mais très peu « officiellement » en tant que bibliothèque.
- Librarything : Ce site permet de créer des « bibliothèques personnelles » sur tous les sujets de manière très simple. Une fois les titres indiqués sur le site, chaque membre est invité à ajouter une critique et à décrire les thèmes du livre. Lancé il y a 24 mois, ce site connaît un succès fulgurant et compte 20 millions de notices crée par les utilisateurs. D’ores et déjà de nombreuses bibliothèques anglophones publient leurs nouveautés sur ce site et participent à des groupes thématiques. Librarything est un site à vocation communautaire, il possède une version francophone en pleine ascension du point de vue du nombre de contributions. La création d’un profil est gratuite, mais une modique somme est demandée au-delà d’un seuil de notices intégrées dans un profil. Des webservices sont destinés aux bibliothèques, mais la base française étant trop limitée pour l’heure, il est plus efficace pour l’instant de créer un compte pour entrer par exemple les nouveautés. De nombreuses bibliothèques américaines le font déjà.
- Babelio : Il s’agit d’un équivalent français de Librarything, particulièrement ergonomique, il représente une communauté plus restreinte (a fêté le 1984ème membre en février 2008) que Librarything mais en plein développement. Très à l’écoute des bibliothécaires, ses fondateurs sont tout à fait disposés à développer des services spéciaux pour les professionnels des bibliothèques.
- Peuplades : Ce site est particulièrement intéressant puisqu’il fonctionne autour de l’idée du rapprochement entre le « global » et le « local ». Il comporte donc un aspect territorial rare dans le domaine des sites communautaires. A la création de leur profil, les membres sont invités à localiser leur domicile sur une carte puis à indiquer leurs centres d’intérêts. Le système rapproche les voisins en fonction de ces deux critères. Le projet repose sur la création de « communautés de quartier thématiques » appelées Peuplades (une peuplade polars, une peuplade cuisine, etc.). La bibliothèque pourrait créer un profil et utiliser ce canal innovant pour diffuser des contenus et communiquer auprès des habitants inscrits, en lien avec les projets d’actions culturelles développés sur le territoire.
- Last-fm : Le domaine de la musique numérique est en plein bouleversement. De plus en plus l’écoute de musique dématérialisée permet des échanges communautaires autour de titres écoutables légalement en ligne. Sans s’opposer aux collections de CD, car les pratiques sont différentes, l’écoute en ligne séduit un public toujours plus nombreux. Ce site exploite tout particulièrement la notion de communautés par genres. Un profil de la bibliothèque permettrait d’explorer ces nouveaux moyens de diffusion et, par exemple, de mettre en avant des musiciens peu connus.
Excellent article. J’aimerais revenir notamment sur la phrase : « Il s’agit dès lors de définir des critères de sélection des réseaux sur lesquels la bibliothèque souhaite intervenir. » Il me semble important d’interroger le concept de réseaux. Et avant même d’évoquer les réseaux sociaux en ligne, il paraît important de faire la cartographie des réseaux sociaux physiques auquels la bibliothèque appartient. Sans doute, pour cet excercice, une carte heuristique s’impose ;-). La question est de savoir comment de manière souple et fluide permettre à la bibliothèque de se mettre en interface et de se développer au sein des différents univers auquels elle appartient : les différents territoires de gouvernance (ville, département, région, Etat, etc.), avec les partenaires sociaux et éducatifs et comment s’inscrire dans la coopération professionnelle et inter-professionnelle, l’inscription dans l’action culturelle locale et politique patrimoniale, le soutien à la création contemporaine et l’exigence de démocratisation culturelle. Penser le rôle de la bibliothèque comme service public est un exercice de synthèse qui demande quels efforts d’approfondissement. On pourrait voir la bibliothèque comme un rhizome dont il conviendrait de décrire la multitude de tiges et racines, afin d’en avoir une image complète. Dans un second temps, on pourrait alors déterminer les outils numériques les plus adaptés pour travailler au sein de ces différents réseaux. Une réflexion à mener dans le groupe des bibliothèques hybrides ?
Nicolas Blondeau
Ok, mais avant de penser numérique, ne faut-il pas revoir les politiques d’acquisition, les politiques d’accueil et surtout la conception des espaces?
Comme écrivait Dominique Lahary : « Je me réjouis de l’essor de la » poldoc « . Mais je rêve d’une » poltec » : politique des tables et des chaises ».
http://www.lahary.fr/pro/2005/concurrence-lahary.htm
allez et pour enfoncer le clou, je donne 100 ordinateurs contre une ouverture le dimanche pour augmenter de 10 points votre taux de fréquentation (pas forcément inscrit)
@ Nicolas: J’ai toujours défendu l’idée d’une stratégie numérique comme une des stratégies de service de la bibliothèque, parmi d’autres. ta remarque Nicolas est importante, mais il me semble que plus on aura des outils et des idées sur les manières concrètes de disséminer la bibliothèque, et plus les stratégies locales seront faciles à mettre en oeuvre, de ce point de vue. A une échelle globale, il me semble que si on arrive à montrer des outils + des services + des exemples tout ça de manière pédagogique; ce sera déjà pas mal !
@ cécile : Me concernant, les tables et les chaises font aussi partie du dispositif global qu’est a bibliothèque…
http://www.bibliobsession.net/2007/01/24/qu-est-ce-qu-une-bibliotheque-c-est-ca/
Quant à la poldoc, au delà de la boutade de Dominique, elle est un préalable indispensable à une politique de service efficace!
http://www.bibliobsession.net/2007/01/24/qu-est-ce-qu-une-bibliotheque-c-est-ca/
Merci pour l’article et ces exemples de sites qu’on pourrait utiliser!
Un frein à leur utilisation par les bibliothèques pour l’instant ce serait peut être qu’il faut rentrer les références « à la main » dans chaque site non?
Par exemple si on veut publier notre liste de documents sur Babelio et sur Librarything, il faut le faire en double, et tenir à jour nos listes dans autant de sites qu’on aura décidé d’utiliser.
A moins qu’il y ait un truc que je ne connaisse pas pour exporter facilement sur différents sites nos données? (c’était pas ça le but de l’OpenSocial de google? http://code.google.com/apis/opensocial/ )
tu as raison Laurent, pour l’instant, c’est du manuel…en attendant mieux!
Pas complètement manuel quand même :
chez Librarything comme chez Babelio, il est possible d’importer des listes d’ISBN au format word, xls, csv etc. pour mettre à jour sa bibliothèque automatiquement.
Et les deux sites permettent aussi l’export de ces mêmes listes, ce qui permet de charger sa bibliothèque Librarything sur Babelio (recommandé) ou Babelio sur Librarything (déconseillé ;-))
Enfin, pour remplir sa bibliothèque plus vite, Babelio permet de scanner les codes barres des livres avec une webcam, et Librarything avec une douchette (CueCat)
Pas parfait, mais on fait des efforts !
oui ça c’est pour la constitution du panier initial, mais après il faut entrer « à la main » (à coups de copier-coller) les avis des bibliothécaires, ce qui fait la valeur ajoutée de l’acte de créer une bibliothèque virtuelle sur des réseaux sociaux…
Effectivement.
Mais si les bibliothèques peuvent nous fournir un flux xml structuré (par exemple avec des n°ISBN, des critiques et des liens pointant vers les notices sur leurs sites), c’est quelque chose qu’on pourrait tout-à-fait automatiser, je pense.
Tu penses que les bib peuvent fournir ce type de flux ?
oui nous on pourrait…à condition de le demander à notre fournisseur. Je vous tiens au courant. 🙂
Bonjour,
Avant de se greffer sur des réseaux existants, la bibliothèque aurait intérêt d’expérimenter avec et sur son propre réseau. Le site d’une bibliothèque devrait permettre à l’adhérent de construire son propre module avec les flux de l’équipement mais aussi des flux extérieurs, et surtout d’échanger avec d’autres lecteurs de la même ville d’une manière publique ou privée sur des thèmes qu’il aurait sélectionnés.
Ce serait l’avenir… et un vrai plus.
BS
les deux ne sont pas exclusif l’un de l’autre Bernard…sinon on est pas sorti de l’auberge! 🙂
En fait, je n’oppose pas. J’écris toujours la même rengaine : mieux vaut apprendre à maitriser les outils en local, puis en petit réseau et après en grand.
– Bibliobsession said : « il faut entrer “à la main” (à coups de copier-coller) les avis des bibliothécaires »
– Guillaume said : « Mais si les bibliothèques peuvent nous fournir un flux xml structuré (par exemple avec des n°ISBN, des critiques et des liens pointant vers les notices sur leurs sites), c’est quelque chose qu’on pourrait tout-à-fait automatiser, je pense. Tu penses que les bib peuvent fournir ce type de flux ? »
– Bibliobsession said : « oui nous on pourrait…à condition de le demander à notre fournisseur. Je vous tiens au courant. »
Eh bien voilà un début de projet concret à discuter aussi au bookcamp , non? Ce serait utile pour notre projet de service de recommandations mutualisées de se mettre d’accord sur des champs xml, puis demander aux fournisseurs d’inclure ça dans leurs logiciels.
« # Les sites institutionnels des médiathèques, si attractifs soient-ils ne s’adressent au fond qu’à des lecteurs déjà sensibilisés et/ou fréquentant les bibliothèques. Développer une diffusion de contenus produits par les bibliothécaires sur des sites non institutionnels et très fréquentés est susceptible de susciter des curiosités. Cela peut représenter la première étape de l’usage des services proposés et de la construction de parcours dans les collections. »
En effet… Mais vu que la communication d’une bibliothèque municipale est le plus souvent encadrée, pardon, « gérée », par la ville, il est plus que difficile de s’en affranchir. A titre d’exemple il nous est ainsi interdit :de déposer tracts ou affiches chez les commerçants locaux et de créer un site indépendant pour la bibliothèque ; et la moindre ligne placée sur le site internet de la ville – évidemment – est scrutée à la loupe.
complètement d’accord pour dire que le service communication, tout comme le service informatique, peuvent avoir des objectifs différents. (j’euphémise hein…) Après tout est question de négociation et de qualité de dialogue…
Bonjour
Certes oui. Car la ville engage sa responsabilité dans le contenu « affiché ».
On peut s’affranchir de cette problématique en « déverrouillant » la ville.
Ceci de manière très simple : le bibliothécaire anonyme offre du contenu pour toute la communauté des bibliothécaires.
La ville n’est plus représentée, donc déverrouillée, et le contenu profite à tous.
Petite goutte d’eau de partout, grosse pluie pour la communauté.
Bien cordialement
Bernard Majour
@ Bernard Majour : hé hé t’es un malin! 😉
Intéressant comme initiative, en fait la bibliothèque pourrait aussi établir une « personnalité numérique » lui permettant de construire une relation significative avec les internautes sur le territoire du numérique. Le personnel est évidemment au centre de cette offre de service, car justement et au-delà des outils, il faut parfois que les internautes puissent sentir qu’il y a un être humain derrière tout ça…