Interview de Nicolas Morin et Paul Poulain, société BibLibre

BibLibre est né d’une idée: l’émergence des logiciels libres ouvre une ère nouvelle pour l’informatique documentaire, et les bibliothèques ont besoin d’être accompagné dans leur démarche pour pouvoir tirer pleinement profit de leur potentiel. et merci à PaBibLibre

Plutôt que de vendre des licences de logiciels qu’il est difficile de s’approprier, nous mettons en avant des solutions libres qui vous permettent de faire des choix informés quant à votre investissement informatique: notre objectif commun est de proposer aux bibliothécaires et au public les meilleurs services informatiques au meilleur coût.

Les logiciels libres vous donnent la main pour identifier des stratégies informatiques à long terme: les bibliothèques ont besoin d’un accès plus complet et plus facile à leurs données; elles ont besoin d’évoluer dans un environnement informatique qui leur permette de faire preuve d’imagination quant à la façon dont elles exploitent leurs données et leurs services en ligne.

BibLibre fournit aux bibliothèques le soutien dont elles ont besoin pour réaliser ces objectifs: hébergement, assistance à la migration, formation du personnel, maintenance, développements, toute une infrastructure qui donne à vos choix de logiciels libres la sécurité dont vous avez besoin pour travailler.

Il me semble que l’existence de cette société et la démarche de Nicolas Morin sont très significatives d’une évolution récente de nos métiers. J’ai envoyé quelques question par email… Merci à lui et à Paul Poulain pour leurs réponses :

BibLibre est une société engagée pour l’utilisation des logiciels libres en bibliothèques, quelle est la taille de ce marché en France ?

Nicolas Morin : Je ne crois pas qu’il y ait une taille du marché des logiciels libres de bibliothèque: il y a une taille du marché de l’informatique documentaire. C’est dans cet espace que les logiciels libres, et une société comme BibLibre, se positionnent.
C’est d’ailleurs un signe de bonne santé du logiciel libre en bibliothèques, et d’une banalisation de ces projets, que les logiciels libres sont souvent sélectionné par des bibliothèques après une mise en compétition tout à fait classique avec les logiciels commerciaux équivalents, sans qu’intervienne aucun biais idéologique de la bibliothèque en faveur des logiciels libres.
Ce qui est certain, c’est que la part « logiciel libre » de ce marché est en très rapide croissance.

Avec quels types de bibliothèques travaillez-vous en majorité ?

Nicolas Morin : BibLibre travaille avec tous les types de bibliothèques: la petite lecture publique, la moyenne lecture publique, les bibliothèques de centre de recherche de l’enseignement supérieur, les grosses bibliothèques universitaires. Seul manque encore parmi nos clients une grande bibliothèque municipale, d’une ville de plus de 100.000 habitants…

Paul Poulain : Nicolas néglige le SAN-Ouest Provence. Mais c’est un cas à part : c’est une communauté de communes de 100 000 habitants, donc pas une ville unique. Et nous intervenons sur de l’assistance. Le SAN-OP ayant décidé d’investir (« développement durable ») des ressources pour être autonomes. C’est aussi cela l’intérêt du logiciel libre : choisir ce que l’on fait soi-même et ce que l’on confie à un prestataire.
Cela dit, le SAN-OP est une exception en France. Aux USA, il y a plusieurs réseaux qui ont mis des moyens humains et non financier.

Et dans les Pays en voie de développement ?

Nicolas Morin : Dans les Pays en développement il est beaucoup plus difficile d’évaluer les usages des logiciels libres pour les bibliothèques: souvent, ces bibliothèques ne passent pas par une société de service. Néanmoins, on sait que Koha est utilisé en Inde, dans les îles Fidji, au Maroc… Pour ce qui est de BibLibre, même si la quasi-totalité de notre activité est en France, il nous arrive, quand l’occasion se présente, de signer des contrats à l’étranger. L’informatique documentaire est, elle aussi, devenue une activité globale: Koha est un logiciel utilisé dans le monde entier.

Paul Poulain : mmm… le Maroc ne serait peut être pas content d’être classé dans les PVD… Je rajoute que Koha est utilisé aussi au Congo Kinshasa, dans les universités de Kaboul, à Dakar, … Nicolas parle des « contrats à l’étranger ». Je rajoute que, par convictions personnelles, nous sommes aussi très ouverts aux demandes de transfert de compétence envers les pays moins favorisés.

Quelles sont les principales motivations de vos clients pour utiliser des logiciels libres dans les bibliothèques ?

Nicolas Morin : Ces deux dernières années ont marqué un changement à cet égard: si nos premiers clients étaient souvent des « convertis » au logiciel libre, les nouveaux clients que nous avons depuis quelques temps ont d’abord choisi un excellent rapport de coût global de fonctionnement pour le logiciel, et un service de qualité pour la société.
Le logiciel libre représente tout simplement un bon modèle économique, pour nous comme pour les bibliothèques.

Paul Poulain : Je rajoute que certains d’entre eux (les plus gros, évidemment), ont choisi d’utiliser des logiciels libres pour la possibilité que cela leur laisse de les faire évoluer. Au moins du point de vue théorique, puisque, hormis le SAN-OP, il n’y a pas de réalisation concrète. Mais les BUs de Marseille nous ont clairement cité ce point lors de notre première rencontre (il a même fallu freiner un peu leur enthousiasme, sur le mode : « on fait déjà ce qui était prévu dans le marché, ne mélangeons pas tout »)
Enfin, les choix de certains de nos concurrents sur des abandons brutaux de logiciels nous aide : le Logiciel Libre, dont beaucoup se demandaient s’il était pérenne, apparaît soudain comme plus pérenne que les autres ! D’autant que BibLibre est une société Française, à capitaux Français… donc pas de risque de nous voir quitter le marché 😉

Une question pour toi Nicolas Morin, qui a rejoint l’équipe de BibLibre après avoir été conservateur de bibliothèque : comment se passe ton arrivée dans ce secteur ? Penses-tu que ton parcours facilite le dialogue avec les clients de BibLibre ? A quel niveau ?

Nicolas Morin : Je n’ai pas été conservateur de bibliothèque: je le suis. Je le reste: je suis passé de l' »autre côté » parce que j’avais le sentiment que c’était, dans le contexte de l’informatique documentaire aujourd’hui, le meilleur endroit pour faire progresser l’offre informatique à destination de nos publics. Non pas seulement faire progresser la bibliothèque dans laquelle je travaille, mais toutes les bibliothèques: quand on améliore un logiciel comme Koha, on améliore d’un coût le service offert au public par toutes les bibliothèques qui utilisent Koha.

Est-ce que mon parcours aide au dialogue avec les bibliothèques? Oui, ça ne fait aucun doute. Et pas seulement parce que je comprends les problèmes des bibliothécaires et peut les relayer aux informaticiens. Aussi parce que je comprends comment fonctionne le développement des logiciels documentaires, à la fois techniquement et économiquement: je peux ainsi aider les bibliothèques à comprendre ce fonctionnement, ce qui leur permet d’avoir à l’égard des logiciels des attentes à la fois élevées et réalistes, c’est-à-dire aussi, pour elles, tirer le meilleur du logiciel au meilleur coût.

Tu (Nicolas Morin) as pris position a plusieurs reprises pour la formation de « bibliothécaires systèmes » c’est-à-dire formés aux langages de programmation, mais sans être informaticiens. Alors que très peu de bibliothécaires sont formés en ce sens et que les formations initiales ou continues ne proposent pas ces compétences, ne penses-tu pas que c’est d’une part contradictoire avec les prestations de BibLibre et d’autre part de nature à renforcer l’image des logiciels libres nécessitant de très fortes compétences internes en informatique ?

Nicolas Morin : C’est une question complexe.

A mes yeux il n’y a pas de lien direct entre mon militantisme en faveur des « bibliothécaires systèmes » et l’existence d’une société comme BibLibre. Il y a aux Etats-Unis des Bibliothécaires systèmes, et néanmoins des sociétés de services en logiciels libres pour les bibliothèques: un bibliothécaire système ne peut, même quand il existe, pas tout faire; en particulier, il ne peut pas acquérir et maintenir l’expertise nécessaire pour tous les logiciels utilisés. Ce que BibLibre propose, c’est ça: l’expertise qu’il est impossible à une bibliothèque seule de maintenir, bibliothécaire système ou pas.

Est-ce à dire que Koha est compliqué et nécessite d’importantes ressources internes? Pas plus qu’un autre SIGB, mais un SIGB est un logiciel complexe en tout état de cause.

Pour revenir sur la question des bibliothécaires systèmes: je n’attends pas que toute bibliothèque municipale d’une ville de plus de 30.000 habitants en ait un à demeure. Mais ce qui manque en France, ce ne sont pas seulement les bibliothécaires systèmes, ce sont aussi les consortiums de bibliothèques dans lesquels ils auraient naturellement leur place: car 10 bibliothèques de communes de 30.000 habitants peuvent, et devraient, se payer collectivement une équipe de bibliothécaires systèmes.

Koha est un SIGB libre réputé, mais outre les questions de licences et de coût, implanter ce logiciel dans un établissement documentaire permet-il de répondre de manière très réactive à toutes les demandes de fonctionnalités émises par vos clients, ou bien faut-il au préalable que les développeurs de BibLibre obtiennent le feu vert de la communauté Koha ? Si oui, avec quel délais en moyenne ?

Nicolas Morin : On a beaucoup reproché, ces dix dernières années, et avec raison, aux SIGB commerciaux d’être devenu des « usines à gaz ». Mais les torts étaient partagés: les sociétés ont, très largement, répondu aux demandes des bibliothèques. L’intérêt à court terme d’une bibliothèque est certainement d’avoir sa fonctionnalité implémentée dans le logiciel. Mais c’est un intérêt à très court terme: si la fonctionnalité est trop particulière, elle apparaîtra à toutes les autres bibliothèques comme une « bizarrerie » et sera, pourrait-on dire, une pierre sur le chemin de l’usine à gaz: l’enfer est pavé de bonnes intentions. Et in fine, la bibliothèque se trouva amenée à maintenir dans le temps une fonctionnalité qui n’intéresse qu’elle: c’est un coût qu’elle devra supporter, d’une façon ou d’une autre.
Il y a donc des compromis à faire: si une fonctionnalité importante pour vous n’existe pas dans Koha, il faut la concevoir de façon suffisament générique pour qu’elle puisse intéresser la communauté en général, pour qu’elle soit intégrée au logiciel proprement dit. C’est moins une question de « feu vert » qu’une question d’intérêt bien entendu de la bibliothèque elle-même: elle a besoin que la communauté investisse dans sa fonctionnalité, et doit donc la concevoir de telle façon qu’elle intéresse la communauté dans son ensemble.

Paul Poulain : du haut de mes 6 ans d’expérience autour de Koha, je n’ai encore jamais rencontré un tel problème dans la réalité. Ou plutôt, lorsqu’il s’est posé, nous avons résolu cela en aidant la bibliothèque à reformuler sa question et sa problématique de manière à avoir quelque chose de plus générique, mais qui satisfasse quand même le besoin.

Comment qualifieriez-vous vos rapport avec les prestataires fournisseurs de logiciels propriétaires de gestion de bibliothèques ?

Nicolas Morin : En vérité, nous n’avons aucun rapport avec eux en tant que prestataires: je reviens du Congrès de l’Association des Directeurs de BU, où j’ai rencontré, dans les travées, nos concurrents d’Ex Libris, SirsiDynix, Ever, etc… On connait individuellement, parfois depuis des années, certaines personnes qui travaillent chez ces prestataires, et on partage volontiers un demi si on a l’occasion. Voilà tout.

Paul Poulain : idem : certains m’abordent de manière affable. D’autres ne m’abordent pas.
Après, il est arrivé qu’un concurrent malheureux menace de dénoncer pour vice de procédure un AO qu’il avait perdu, mais, manque de chance… ce n’était pas un fournisseur de logiciel propriétaire… Donc à ce niveau, on peut bien différencier la licence d’un logiciel et la pratique commerciale ! (en l’espèce, la commune a relancé l’AO, a réattribué à BibLibre, ça leur a juste fait perdre 6 mois et pas mal d’énergie, pour une collectivité de 15 000 habitants !)

Pensez-vous que pour les bibliothèques comme pour le grand public, l’avenir soit aux SIGB « dans les nuages », c’est à dire entièrement hébergés sur des serveurs distants ?

Nicolas Morin : Il y a certainement place pour une offre hébergée. Elle conviendra à certaines situations, à certaines bibliothèques, et pas à d’autres. Est-ce l’avenir? Difficile à dire. C’est certainement un secteur en développement. Mais j’imagine plutôt une situation plus nuancée que le « tout nuage » contre le « tout local ». Par exemple, il est possible d’imaginer une bibliothèque ayant une partie de ses logiciels en installation locale, une autre partie en hébergée, et, même pour les installations locales, une exploitation de certaines données dans les nuages. C’est déjà ce que fait Koha, qui, quand bien même il est installé localement, peut par exemple exploiter les données d’Amazon « dans les nuages ». Sans que l’usager ait conscience qu’une partie des données qu’il voit à l’écran sont locales, tandis qu’une autre partie est dans les nuages.

Paul Poulain : Concrètement :
– soit une bib avec 1 site, donc centralisée. En mode « dans les nuages », si sa connexion internet tombe en panne… elle ne peut plus faire de prêts… ennuyeux…
– soit une bib avec X sites, tous de taille équivalente, et pas de service IT ni d’infrastructure réseau : le mode « dans les nuages » est le meilleure solution, et la plus économique.

BibLibre propose des prestations avec Koha et Drupal, quels autres produits demain ?

Nicolas Morin : Nous proposons des services autour des logiciels libres utiles aux bibliothèques. Tous les services, tous les logiciels, à condition qu’ils soient libres et soient utiles aux bibliothèques.
Et nous procédons comme les bibliothèques elles-mêmes: nous regardons ce qui existe, nous sélectionnons un logiciel, et nous investissons dans ce logiciel. C’est-à-dire que nous ne proposerons par tous les logiciels libres: pour le SIGB, nous avons choisi Koha; Drupal pour la gestion de sites web.
Nous continuons, sur le même principe, notre exploration des logiciels libres pour les bibliothèques et devrions annoncer de nouvelles offres dans les semaines à venir.

Paul Poulain : notons que nous sommes (bientôt) 9 dans la société, donc nous ne chassons pas tous les lièvres à la fois. Mais nous avons l’ambition d’intervenir sur tous les domaines utiles aux bibs, je confirme ce que dit Nicolas.

Enfin, quelle est la fonctionnalité 2.0 qui vous semble la plus intéressante à mettre en œuvre à l’avenir ?

Nicolas Morin : Une évolution extrêmement intéressante, et sans doute profonde, c’est l’effacement partiel de la limite entre outil et contenu. Les tags d’usagers dans les opacs sont un excellent exemple: la fonctionnalité peut être implémentée, et dans Koha elle l’est; mais cela ne résoud pas pour autant le problème car les usagers, s’ils investissent du temps dans flickr pour tagger leurs photos, ou dans LibraryThing pour tagger leurs livres, n’ont aucun intérêt particulier à tagger les livres de la bibliothèque. Du moins pas en nombre suffisant pour qu’on puisse atteindre la masse critique de tags nécessaire à une utilisation intéressante des tags. Pour que les tags marchent, il y a un effet de seuil pour des traitements statistiques: il en faut beaucoup.
Une solution est de mettre en commun les tags entre bibliothèques: une base centralisée de tags et un opac qui, avec un isbn par exemple, va interroger cette base dans les nuages pour récupérer les tags communs non pas aux usagers de cette bibliothèque, mais d’un réseau de 100, 200, 1000 bibliothèques.
Une mise en commun d’outil et de contenus, localement et dans les nuages.

Paul Poulain : d’ailleurs, j’avais écrit quelque chose à ce sujet il y a environ 1 an maintenant, une première réflexion. Mais je n’avais pas eu le temps d’aller plus loin que la 1ere réflexion. Peut être que dans les mois à venir…

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