Filiation : de la documentologie de Paul Otlet à la redocumentarisation de Roger T. Pédauque…

Selon ce dossier très complet sur Paul Otlet de Savoir-CDI, la documentologie c’est :

la discipline qui étudie les propriétés des documents, leurs flux et les moyens d’en traiter le contenu en vue d’une accessibilité optimale. Elle devient, plus tard, la science de l’information.

Belle notion donc ! (à ne pas confondre avec la démonologie, quoique, des fois 🙂. En lisant ce dossier on ne peut que se dire combien Paul OTLET (considéré comme le Père de la Documentation, né en 1868 et mort en 1944) était visionnaire. Voilà un autre extrait issu du même dossier réalisé par Marie-France Blanquet. Otlet a proposé dès le début du 20e siècle la notion d’analyse documentaire :

Elle représente la rupture qu’Otlet opère avec la bibliographie. Cette dernière n’assure que la description bibliographique. L’analyse documentaire atteint, quant à elle, le contenu de la connaissance. Otlet marque ainsi la ligne de démarcation entre les professions préoccupées essentiellement par la conservation du support des documents (bibliothécaires) et celles qui donnent la priorité au contenu, à l’origine de la création d’un ensemble de méthodes et de produits tels que les index analytiques. La volonté est affichée de traiter le document d’abord comme un contenu, c’est-à-dire l’information. C’est pour cette raison que le dépouillement des périodiques apparaît comme central dans la mission qu’il se fixe. C’est pour cette raison également qu’Otlet peut être considéré comme un des fondateurs des sciences de l’information.

Si la documentologie a laissé sa place aux sciences de l’information il me semble y avoir un très belle parentée entre ce terme et celui de redocumentarisation, du mystérieux personnage de Roger T. Pédauque… Mais alors la redocumentarisation c’est quoi ? J-M Salaün l’explique dans ce billet (c’est moi qui souligne):

Pour définir la re-documentatisation, il faut commencer par s’entendre sur le terme « documentarisation« . Documentariser, c’est ni plus ni moins « traiter un document » comme le font, ou le faisaient, traditionnellement les professionnels de la documentation (bibliothécaires, archivistes, documentalistes) : le cataloguer, l’indexer, le résumer, le découper, éventuellement le renforcer, etc. On préfère « documentariser » à « documenter », qui renvoie plutôt à la création d’un ou de plusieurs documents pour expliquer un objet ou une action, mais dans nombre de cas les deux activités se recoupent. L’objectif de la documentarisation est d’optimiser l’usage du document en permettant un meilleur accès à son contenu et une meilleure mise en contexte. (…)

Dans le Web 2.0, ou tout simplement sur les sites dynamiques, la stabilité du document classique s’estompe et la redocumentarisation prend une tout autre dimension. Il s’agit alors d’apporter toutes les métadonnées indispensables à la reconstruction à la volée de documents et toute la tracabilité de son cycle. Les documents traditionnels eux-mêmes, dans leur transposition numérique, acquièrent la plasticité des documents nativement numérique et peuvent profiter des possibilités de cette nouvelle dimension.

Si nous écoutons Roger, la redocumentarisation prend un sens beaucoup plus large. Cette nouvelle forme de documentarisation reflète ou tente de refléter une organisation post-moderne de notre rapport au monde, repérable aussi bien dans les sphères privée, collective et publique. Comme dans la précédente modernisation, le document participe au processus et y joue même un rôle clé, mais il s’est transformé au point que l’on peut se demander s’il s’agit encore de la même entité.

J-M Salaün propose aussi cet éclairant tableau montrant clairement la filiation :

Que faut-il comprendre ? Hé bien que le fait de vivre dans un monde où les données circulent de manière mondiale, en permanence, s’échangent et construisent pour le meilleur et pour le pire une sorte de conversation géante cet Entrenet, ou cette Alchimie des multitudes change la donne, profondément. Nous sommes dans l’ère de la rapidité (pas forcément le zapping, mais aussi le bricolage, le lien, la connexion…) et de la circulation des données.

Deux exemples volontairement contradictoires :

1. Songez aussi qu’Amazon vient de proposer une application Sur l’Iphone (216 000 Iphone 3G vendus en France en seulement 3 mois, l’Iphone est ce qui se fait de mieux aujourd’hui en termes d’ergonomie et « d’expérience utilisateur nomade »). Voilà un bel exemple des valeurs portées par la re-documentarisation : efficacité, nomadisme, ubiquité, documentation contextuelle permettant en l’occurence de :

prendre une photo d’un objet, de l’envoyer sur son compte Amazon. La photo est stockée, pour que vous vous en rappelliez (fonction ‘Remember’) mais ce n’est pas tout : Amazon essaie de faire correspondre la photo avec un produit de sa base. Si cela fonctionne vous avez en retour le prix et un lien d’achat.

2. Songez que l‘écrivain québécois Nicolas Dickner répondant à une question d’un de ses élèves : « ça sert à quoi de lire ? » a trouvé la réponse suivante (contestable parce qu’il existe plusieurs types de lectures, mais significative d’un changement profond, je trouve) : le livre comme machine à courber de temps (si vous avez aimez, ne ratez pas belle contribution au débat sur le blog Textes)

Le livre (…) demeure l’un des seuls objets culturels qui exigent de tout arrêter. Pour exister, il nécessite une attention exclusive. Impossible de lire un bouquin en pensant à autre chose. Dans un monde multitâche, consacrer tout son temps à une seule activité revient à perdre son temps – ce qui explique sans doute en partie pourquoi on lit moins de livres qu’auparavant. L’intérêt du livre se trouve pourtant là: il exige certes plus d’effort, mais il dilate les heures. Le livre est, en somme, une machine à courber le temps.

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