La démocratie participative est un modèle politique alternatif. Il recouvre des concepts permettant d’accroître l’implication et la participation des citoyens dans le débat public et la prise de décisions politiques qui s’en suit.
Il est clair que nous sommes interrogés aujourd’hui sur notre capacité, au même titre que bon nombre d’institutions publiques, sur la manière d’élaborer nos services et nos contenus de manière collaborative. Il me semble que nous devons nous interroger sur ces enjeux (et trouver des réponses) à l’échelle de la bibliothèque.
Car la « bibliothèque 2.0 » n’est pas seulement la bibliothèque qui proposera des interfaces innovantes, des lieux attractifs, des services ciblés en fonctions des types de publics qu’elle accueille, ou de larges horaires d’ouvertures. En réalité tout ce qui précède ne requiert pas forcément une participation directe des usagers. Il suffit en réalité de faire que nous faisons déjà : proposer des services qui répondent à une demande ou un besoin, anticipés avec nos moyens limités (Une connaissance empirique du territoire + quelques chiffres de l’INSEE, des enquêtes ou des SIG dans le meilleur des cas).
En matière numérique, les bibliothèques ne peuvent se contenter d’enrichir leur catalogues en y agrégeant des données. Je pense que dans les années qui viennent, il va être facile d’agréger automatiquement des données enrichies dans nos catalogues que les bibliothèques, d’aller loin dans leur mutualisation (nous y arriveront, c’est une question de temps) et de proposer de beaux outils de médiation. Mais le risque n’est-il pas d’oublier de rendre lisible ce lien entre ces données globales et les populations locales auxquelles elles s’adressent ?
Je pense que les bibliothèques doivent susciter des communautés d’intérêts, favoriser l’émergence de contenus à valeur ajoutée sur des thèmes tout en contribuant au renforcement du lien social et du débat démocratique. Autrement dit, une bibliothèque 2.0 doit forcément à la fois se poser la question de la circulation et de la restitution de données au service de ces objectifs mais aussi co-construire ses services et (une partie de) son offre non pas seulement POUR mais AVEC les usagers. Trop souvent peut-être (y compris dans ce blog) nous avons tendance à penser aux outils et aux contenus, sans forcément penser à la nécessité de créer des interactions entre des données et le territoire qui nous occupe.
Quelle bibliothèque aujourd’hui a RÉELLEMENT mis en oeuvre un fonctionnement participatif ?
Alors tout ça c’est bien joli mais comment faire ? Je vous préviens de suite, je lance une piste, peut-être cela vous semblera-t-il timide…mais faut bien commencer. Beaucoup reste à inventer sur ce sujet.
Par exemple : j’ai lancé l’autre jour une discussion sur les offices de livres. Lorsque j’assiste à l’office de la bibliothèque où je travaille, je suis toujours intéressé les amateurs que sont les bibliothécaires. Parallèlement, un grand classique dans les bibliothèques est d’organiser des clubs, comités ou assimilé de lectures ou de lecteurs. En général les bibliothécaires y sont animateurs. Quels sont donc les fonctions et objectifs de ces deux instances où l’on parle livres (donc contenus) ?
Offices :
- Panorama des nouveautés éditoriales pour aider les bibliothécaires à choisir des livres pour constituer le fonds de la bibliothèque : les éditeurs envoient des nouveautés, les bibliothécaires les lisent, gardent ceux qu’ils considèrent devoir entrer dans la collection et renvoient les autres
- Renforcer les échanges dans une équipe
Clubs de lecture :
- Créer du lien social entre les gens
- Fidéliser une partie du lectorat de la bibliothèque
- Contribuer à la sensibilisation aux arts et à l’exercice du débat citoyen (voir par exemple ce chouette club des lecteurs sciences à la médiathèque des Champs libres à Rennes)
A ces fonctions on peut en ajouter une qui n’est jamais assez prise en compte : la création de contenus ( = critiques de titres récemment parus sur le marché du livre) et leur diffusion dans des communautés d’intérêts virtuelles ou dans des communautés locales. C’est le cas de plusieurs bibliothèques, dont celle, par exemple, de Romainville qui publie in extenso les avis de ses lecteurs sur le blog de la bibliothèque.
Alors je vais poser un peu abruptement la question : pourquoi ne pas fusionner l’office et le « club des lecteurs » de la bibliothèque ?
Imaginons un instant ce que ça peut donner (peut-être ça existe déjà, jamais entendu parlé en tout cas) : on obtiendrait un rendez-vous régulier dans lequel des bibliothécaires (en nombre limités, par exemples les acquéreurs d’un pôle documentaire) ET des amateurs (cooptés ? tirés au sort ? volontaires ? etc.) pourraient échanger sur leurs lectures à partir d’une sélection de livres ou de documentaires récemment parus. La motivation à participer pour les deux parties en serait d’autant plus grande que les deux groupes : amateurs et professionnels ont chacun un objectif commun clairement énoncé = faire un choix de livres ou de documentaires récemment parus à intégrer à une collection publique.
Les documents (pas de restrictions de support) ainsi critiqués, pour éviter toute domination d’un groupe sur l’autre, pourraient faire l’objet d’un vote puis être intégrés au circuit du livre de la bibliothèque… Imaginez une accroche un peu emphatique, comme il se doit :
Nouveau : Votez pour les livres que vous voulez voir achetés dans votre bibliothèque !
Bien sûr cela suppose une réelle volonté, y compris politique, de participation encadrée qui aille plus loin que les traditionnels cahiers de suggestion pour lesquels le choix du bibliothécaire est toujours celui qui prime.
N’oublions pas que ce qui fascine dans notre métier c’est justement cette faculté du bibliothécaire de faire un choix dans la richesse des parutions éditoriales. Pourquoi ne pas pour une part, partager cette faculté avec des usagers-amateurs motivés ? Attention il ne s’agit en aucun cas de déléguer en bloc la compétence du bibliothécaire à constituer et équilibrer un fonds, mais d’en partager une infime partie, limitée, encadrée, dans le but de susciter une participation des usagers à la vie de la bibliothèque qui ne soit pas qu’une discussion autour des contenus mais aussi un engagement de l’institution à intégrer ces documents dans l’offre qu’elle propose à l’ensemble de la population qu’elle doit desservir. Quant on connaît les enjeux de politique locale qui peuvent être liés aux dons ou aux suggestions d’achat dans les bibliothèques, il est évident qu’il faut absolument clarifier les règles du jeu dès le départ.
Il serait bien sûr aussi très intéressant d’essayer de diffuser et de promouvoir les fruits du travail de choix de cette communauté par des moyens de médiations. Nous proposons par exemple des étiquettes collées intitulées « L’avis de Fabien, bibliothécaire », et cela pourrait être l’occasion d’utiliser ce même outil de médiation avec des amateurs : « L’avis de Jean, amateur de polar ». 🙂
On sait bien qu’un des écueils de la démocratie participative est son risque de confiscation par des « groupes de pression » plus ou moins identifiés. Ce risque existe dans ce cas, mais peut à mon avis être contourné si les règles de fonctionnement ET le mode de constitution des groupes d’amateurs/bibliothécaires sont adéquats.
En écrivant cela, je me demande vraiment si les bibliothécaires et les élus locaux sont prêts à assumer dans les faits le principal apport du web 2.0 : la reconnaissance de la valeur du contenu généré par des amateurs à une échelle jamais vue jusqu’alors. Oui, les amateurs sont nos alliés.
NB : Ce billet comme tout ce blog n’engage pas un poil de la responsabilité de la collectivité comme on dit. C’est des idées, c’est tout.