Le livre numérique n’est pas un support mais un texte

Je vous recommande la lecture du récent billet de Marin Dacos et les commentaires tout aussi passionnants qu’il a suscité. En deux mots : l’expression « livre numérique » a le tort d’unifier le support et le contenu en référence à l’idée d’une bibliothèque virtuelle. Le livre numérique n’est pas un livre avais-je avancé, c’est un texte :

C’est un objet que l’on a conçu, avant de penser un usage. Une continuité, que l’on souhaite mettre en place, avant de penser une adaptation à un contexte nouveau. On connaissait les vertus de l’objet livre. On a songé à les transposer mécaniquement au monde numérique. On a obtenu un monstre qui se révèle inutile, coûteux et lourd. Les liseuses d’aujourd’hui présentent les défauts du livre et quasiment aucune des qualités du texte numérique. Et si on essayait de penser l’avenir de l’édition électronique sans se référer en permanence au bel objet qu’est le livre et aux nobles rayonnages des bibliothèques familiales ou des bibliothèques publiques ?

Histoire de « concrétiser » cette position, je vous recommande également un magnifique projet qui (dé)matérialise une nouvelle manière de penser le texte numérique, à l’heure de la redocumentarisation du monde. Il s’agit d’une plateforme de publication de ressources éditoriales très complète par l’association les Complexes, projet « La Poule ou l’oeuf ». Plutôt que de vous présenter l’outil que vous pouvez appréhender ici ou en regardant quelques minutes de vidéos ici (ce projet a gagné septembre dernier le Lutèce d’Or dans la catégorie Meilleur projet d’innovation et de développement Libre réalisé) je préfère citer in extenso la vision du livre comme document numérique qui sous-tend ce projet :

Nous pensons que le livre doit être intégré dans le Web pour différentes raisons. Internet n’est pas seulement un canal de distribution. C’est aussi un outil de création et un lieu d’exploitation fine et de partage des connaissances.

Nous n’envisageons donc non pas de transférer des fichiers-livres statiques à travers cette boite postale moderne mais de produire des livres intégrés au réseau, que leur destination finale soit électronique, papier, vocale ou autre.

Pour procéder sans douleur il faut d’abord définir ce qui distingue un livre des autres formes de discours et doit être respecté dans son évolution.

  1. Le livre n’est ni une technique, ni un format. C’est un mode d’expression : sa définition ne tient pas à son support papier ou électronique, au stylo ou à la souris. La complexité n’est  pas là, elle est dans l’objet logique.
  2. C’est un document fini: Le processus d’écriture d’un livre possède un début et une fin et c’est son ou ses auteurs qui en déterminent la fin, c’est à dire la clôture. L’auteur estime un livre arrivé à son terme et le publie. Ce qui ne l’empêchera pas de travailler à une seconde ou une troisième édition du livre en question. Ce caractère fini permet d’en faire une référence pérenne.
  3. Aux contenus divers, tant par la forme que par le fond : – Sélection d’articles ou de contributions diverses (poèmes, nouvelles, cours, présentations données au cours de colloques, rapports…); – Texte unitaire (thèse, essai, roman : introduction-développement-conclusion, suite de chapitres…); – Textes, exercices, graphiques, tableaux, sons, vidéos…
  4. Planifiable et malléable : Un livre suit un plan qui peut être remanié quel que soit le degré d’avancement du projet ; Il doit pouvoir garder la trace de son évolution, des versions, et pouvoir y revenir si nécessaire, jusqu’au bouclage. Cette malléabilité et l’acte de clôture sont les garants du principe d’auteur contre la contrainte de la technique sur le contenu.
  5. Offrant un réseau de références multiples, externes ou internes, dont les liens sont conservés quel que soit le format de publication : notes de bas de pages, citations, références bibliographiques, listes de tableaux, listes de figure, liens internes, annexes, Index.

et plus loin on trouve cette phrase :

Le livre doit pouvoir être pensé (…) comme un ensemble de contenus XML liés entre eux. Le flux principal est le livre entier, les contenus liés entre eux par le plan. Ce flux est publié ensuite en différents formats statiques de publication (Html, Pdf, etc.). Il répond au premier désir de l’auteur.

A voir ce marché tel que présenté par Benoit Epron lors du colloque Docsoc 2008, (merci à lui) il est clair que la conception qui domine n’est pour l’instant pas celle exposé ci-dessus. Des mouvements tectoniques sont bel et bien en marche…

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