Radio-France ou le (difficile) passage d’un média de flux vers un média à la demande

podcast-rfQuand je propose des formations au web 2.0, j’aime bien poser la question suivante : « Quel est le meilleur fournisseur de podcast ? » La réponse ne tarde pas en général : la radio !

En général, je m’adresse à des bibliothécaires fonctionnaires ou assimilés donc la réponse est même plus précise : Radio-France ! Moi-même j’écoute bon nombre de ces émissions dont l’excellentissime Place de la Toile sur France Culture (non ne collez pas une image élitiste à cette émission, sous prétexte qu’elle est sur France culture, je vous assure elle est vraiment excellente !)

J’ai été parmi les premiers à me satisfaire le 4 janvier 2006 de l’arrivée des podcasts de Radio-France. A n’en pas douter, il s’agit là d’une évolution majeure dans le mode d’accès à ce média de flux qu’était la radio. Ce média linéaire devient un média de multi-flux, un média délinéarisé où l’on compose sa radio. L’importance de la « grille des programme » et les enjeux liés à l’heure de diffusion doivent être désormais relativisés, à partir du moment ou chacun peut composer sa propre grille.

Bien sûr que la possibilité technique de s’abonner aux émissions via les podcasts n’implique pas, et loin de là, que l’ensemble des auditeurs changent leurs usages. En réalité, les modes d’accès à ce média se complexifient, même si selon cet article de tarifmedia :

20,6 millions d’auditeurs ont écouté la radio sur Internet en direct, en streaming ou en podcast (Ipsos Printemps 2008, 3 derniers mois)

Le phénomène est donc loin d’être négligeable et Médiamétrie vient d’annoncer une réforme de son système de mesure d’audience pour touts les médias de manière à prendre en compte les pratiques délinéarisée des auditeurs. Selon cet article du 30/12/2008 de Jdnet :

La société de mesure d’audience signe un partenariat avec Jungo, permettant aux fournisseurs d’accès et aux annonceurs de connaître les comportements des abonnés. Médiamétrie veut réussir à mesurer l’audience globale des services télécoms triple play. La société doit annoncer en janvier 2009 la signature d’un partenariat exclusif avec Jungo, qui développe des logiciels pour les box des fournisseurs d’accès Internet (FAI). « La solution de Jungo nous paraît la plus innovante pour élargir le spectre des mesures, déclare Laurent Battais, directeur exécutif de Médiamétrie. Les foyers se numérisent et nous voulons capter ces nouveaux comportements ».

Soit. Nous sommes en Janvier 2009 soit 3 ans presque jour pour jour après le lancement des podcasts de Radio-France et un élément me semble illustrer le difficile passage de ce média (celui-là en particulier, je ne généralise pas, c’est une sorte de mini étude de cas) d’un média de flux à un média à la demande.

Il me semble qu’il y a un déficit de métadonnées (c’est à dire les données sur les données) sur les podcasts de Radio-France. Tout se passe comme si on s’abonnait d’abord à une émission, à un concept, à un animateur, et seulement ensuite au contenu proposé. Ainsi, Radio-France reste un média de flux transposé au numérique (un podcast = l’abonnement à une émission, comme on s’abonne à un magazine) et non pas un média de contenus. Autrement dit, Radio-France mise d’abord sur sa marque, son label de qualité, avant de mettre en avant les contenus qu’elle propose.

J’entends par un média de contenu un média qui propose d’abord des sujets qui sont en quelque sorte « encapsulés » dans un concept. Exemple : l’émission le Grain à moudre, traite de sujets très différents avec des invités, sans que les informations véhiculées par le podcast ne proposent, avant d’entendre l’animateur, quel sujet et quel invités ! Bien sûr ces informations sont disponibles en ligne, mais aucun podcast de Radio-France ne comporte des données qui peuvent se retrouver sur les outils de « balladodiffusion » comme :

  • une présentation du sujet de l’émission
  • une biographie des invités
  • une bibliographie / sélection de sites

Pour illustrer, voici comment apparait un podcast sur l’Iphone (mais c’est la même chose pour tous les autres baladeurs puisque les données sur le sujet de l’émission ne sont tout simplement pas dans le fichier xml du podcast)

photophoto2

A l’heure ou les contenus sont foisonnants, il me semble risqué de miser uniquement sur « la marque » sans éditorialiser ses contenus au plus proche de leur objet et ce en situation de mobilité, comme l’implique souvent l’usage du podcast. Car c’est bien d’une sorte d' »éditorialisation de proximité » qu’il s’agit, c’est à dire ajouter pour chaque émission un ensemble d’informations permettant à l’auditeur non plus de faire une confiance sourde au concept de l’émission, mais d’en connaître très vite le thème, au plus proche de l’objet sonore.

On pourrait tenter un parallèle avec la presse imprimée dont où ce positionnement sur la marque est remis en cause : achète-t-on Libération parce c’est Libération et que c’est une source officielle ou parce qu’on est réellement intéressé par les contenus proposés ? La réponse est complexe, mais il est clair que l’un des symptômes de la crise de la presse est une crise de la confiance que l’on accorde aux médias imprimés, de la crédibilité de « leur marque », (ou plutôt de leur ligne éditoriale). Avec la radio, la comparaison s’arrête là puisque les audiences sont pour l’heure en hausse, en particulier pour Radio-France. A cet égard, la réforme des mode des mesure d’audience de Médiamétrie est essentielle puisqu’elle permettra d’appréhender des pratiques d’écoute des contenus audios sur d’autres médias que ceux actuellement pris en compte.

Il ne s’agit là que d’une petite étude de cas limitée. Même si rien n’empêche techniquement l’enrichissement des flux actuels de radio-France avec des métadonnées, on peut penser que la situation est transitoire puisque la radio s’apprête à vivre une révolution que l’on voudra technique, mais qui est en réalité médiatique. En effet, l’arrivée de la « radio numérique » et de la norme T-DMB (Terrestrial Digital Multimedia Broadcasting, Diffusion Multimédia Numérique Terrestre) permettra non seulement une écoute de meilleure qualité et une couverture nationale, mais aussi et surtout la possibilité technique de l’ajout de métadonnées associées aux contenus diffusés directement lors de la diffusion. Le lancement est prévu pour noël 2009 et nécessitera l’achat de nouveaux postes de radio… 🙁 Alors est-ce encore de la radio si on lui ajoute l’image et le texte ? Je pense que oui à condition que des contenus de qualités restent possibles diffusés, autrement dit, que Radio-france ne perdre pas son coeur de métier…

NB : En fait, je voulais quand j’ai fait quelques recherches pour ce billet insister sur la difficulté d’accès aux archives des émissions de Radio france, mais il semble que l’écoute à la carte soit depuis peu généralisée. Tant mieux ! Il est donc possible de réécouter en ligne les émissions passées. Tiens en passant je vous conseille de jeter une oreille sur cette page des archives de Place de la toile où vous trouverez des émissions passionnantes !

Silvae

Je suis chargé de la médiation et des innovations numériques à la Bibliothèque Publique d’Information – Centre Pompidou à Paris. Bibliothécaire engagé pour la libre dissémination des savoirs, je suis co-fondateur du collectif SavoirsCom1 – Politiques des Biens communs de la connaissance. Formateur sur les impacts du numériques dans le secteur culturel Les billets que j'écris et ma veille n'engagent en rien mon employeur, sauf précision explicite.

5 réponses

  1. Moi aussi je partage ton avis sur Place de la Toile, qui me semble être la meilleure émission sur le numérique.

    Je suis également d’accord avec toi sur le manque de mise en valeur des contenus des radios nationales. On voudrait pouvoir accéder à un vrai portail des contenus, une sorte de librarything dédié aux émissions de radios, où l’on pourrait interroger la base pour trouver les émission qui invitent ou parlent de telle ou telle personne ou de tel ou tel sujet… Pouvoir accéder aux archives, mais aussi les télécharger (ce qui est pour l’instant impossible, pour des questions légales paraît-il) pour les écouter sur son baladeur et ne pas être contraint de les écouter depuis son écran manque également (quoique avec des iTouch like, la consultation en streaming devient mobile). Le site d’actualité devrait peut-être être séparé du site d’archives (un accès AOD – audio on demand ! -, une espèce de Culture Box, mais avec un vrai moteur et de vraies métadonnées) ?

  2. Laurent dit :

    Ahhh, les podcasts France Culture! Moi aussi j’étais parmi les premiers à me satisfaire de leur arrivée car auparavant depuis longtemps j’enregistrais le plus possible d’émissions sur cassettes avec ma superbe chaine hifi où je pouvais enregistrer 1h30 par jour.
    Puis depuis 2000 environ j’enregistrais directement en mp3 sur l’ordi avec Total Recorder, depuis avec la sortie audio de la chaine branchée sur l’entrée record de l’ordi.
    Et depuis le podcast, eh bien, je podcaste plein d’émissions.
    Je ne les écoute pas toutes. Du coup les mesures d’audiences vont devoir se confronter au meme souci que nous : un bouquin emprunté n’est pas forcément lu, une émission téléchargée n’est pas forcément écoutée.

    Un blog france culture où il est parfois question des podcasts : http://franceculture-blogs.com/coulisses/2008/02/04/podcaaaaaast-ton-univers-impitoyaaaaaableeee/

    Et si j’ai un souhait à formuler (les gens de FranceCulture lisent Bibliobsession, n’est-ce-pas?), c’est que le volume des podcasts soit augmenté, il est vraiment hyper faible!

  3. Eric SUZANNE dit :

    Bonsoir,
    Enfin une discussion sur les podcasts de FC que je suis comme vous depuis 2006 !
    Je partage bien entendu bcp de vos observations avec une appréciation proche.
    Cela dit, je trouve que nos amis suisses de la RSR font nettement mieux pour l'identification des émissions dont le titre mais surtout le contenu apparaissent sur la page d'iTunes. Sur FC, c'est impossible d'identifier autre chose que le titre, la date et le nom du producteur. N'allez d'ailleurs pas le leur dire, car on ne vous répondra pas. Il faut dire qu'on est en France et que cette politesse n'existe pas ici en comparaison de la civilité lémanique ou british. Cette modification serait déjà une aide précieuse pour accèder aux données, ce que le collègue forumeur qualifie de métadonnées, concept qui correspond bien au besoin que je déplore ne pas trouver à disposition.

  4. Eric SUZANNE dit :

    Et voici la fin ! Enfin, mais là j'admets que mon observation pourra paraître superflue : chez les anglais comme chez les romans, la photo du producteur est systématiquement fournie en regard (le mot est bien choisi) de l'émission en cours ou à la demande (écoute différée). La magie (en fait la supériorité de la radio) sur les autres médias ne s'en trouve pas diminuée. Au contraire, le visage de celui ou celle qui produit ou réalise l'émission que l'on guette, attend et écoute apparaît comme un signe suplémentaire de la conivence qui nous lie à celui qui parle.

  1. 31 janvier 2009

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