J’ai découvert un article très intéressant sur Blognot, l’excellent site de Marc Autret que j’ai déjà présenté il y a quelques jours.
Preuve que les bibliothèques européennes ne sont pas des institutions comme les autres, beaucoup « publient leurs contenus numérisés avec un copyright, même quand le contenu d’origine relève du domaine public ». On dirait du Google ! Et c’est Patrick Danowski, du comité wikimédia allemand, qui s’émeut de cette ineptie dans Culture & Recherche (cf. no 118-119, page 38)
Au début je n’y ai pas cru. Pourtant le document auquel se réfère M. Autret est bien publié dans Culture & Recherche, publication tout à fait officielle du ministère de la Culture. Et puis en allant voir les mentions légales de Gallica et d’Europeana il semble que M. Danowsky qui est un des responsable de Wikimédia (qui est par ailleurs bibliothécaire à la bibliothèque Nationale Allemande, magnifique double compétence, j’en reparlerai) a complètement raison ! La bibliothèque Nationale de France, en numérisant des livres tombés dans le domaine public met à disposition notre patrimoine culturel mondial. Elle constitue dans ce but une base de donnée, au sens des articles L.112-3 et L.122-5 du Code de la propriété intellectuelle. La loi lui attribue donc des droits, non pas sur les œuvres qui sont effectivement libres mais bien sur la structure de la base de donnée ainsi constituée. [NB : ajout de cette phrase après les commentaires, c’était pas clair dans la première version]. Effectivement, dans les mentions légales de Gallica le texte suivant dans l’aide :
Puis-je réutiliser un document de la BnF ? La Bibliothèque nationale de France est titulaire des droits d’auteur pour ses propres documents sur le site Gallica. Pour un usage strictement privé, la reproduction du contenu de ce site est libre. Dans le cadre de communication, édition ou autres actions à caractère professionnel, ne sont autorisées que les courtes citations sous réserve de la mention BnF/Gallica. Tout autre reproduction ou représentation, intégrale ou substantielle du contenu de ce site, par quelque procédé que ce soit, doit faire l’objet d’une autorisation expresse de la BnF (reproduction@bnf.fr).
Sur Europeanna on trouve même plus précis : les liens vers les régimes juridiques choisi par chaque contributeur :
Below are given some links to examples of the copyright and terms and conditions pages of some of Europeana is contributing partners to which Europeana links to display in context the full object.
A chaque fois il s’agit de l’équivalent de « tous droits réservés », donc la mention la plus restrictive. Cela pose en effet un problème puisque ça revient à « réouvrir » une période d’exploitation, même non commerciale, pour un document dont c’est l’entrée dans le domaine public qui a bien souvent facilité la numérisation ! Rappelons qu’en droit français (selon Wikipédia) :
Le domaine public est un statut sous lequel sont placées les biens intellectuels (œuvres, inventions …) pour lesquels, au terme de leur durée de protection, il n’est plus nécessaire de demander une autorisation d’exploitation quelconque. On dit alors qu’ils sont « tombés dans le domaine public » (nous devrions dire « entrés dans le domaine public » car l’entrée de biens intellectuels dans le domaine public permet à ceux-ci d’être librement diffusables, échangeables…).
Autrement dit, je ne peux donc réutiliser la version numérique d’un texte dans le domaine public copié sur Gallica alors que, précisément, le domaine public est fait pour permettre un libre usage après la période d’exploitation du droit patrimonial attaché à l’œuvre !
Il y a là un vrai problème de « données publiques »
Il me semble que les problématiques sont proches… même si, évidemment, dans le cas de la Bnf le but du jeu est bien de les rendre accessibles ces données, sauf que là elles doivent faire l’objet d’autorisation en cas de copie et de réutilisation. M. Danowski précise :
Les bibliothèques traditionnelles (…) considèrent que, parce qu’elles financent la numérisation des contenus, elles les possèdent. Cette approche est contraire aux principes du web 2.0 qui repose sur la liberté d’usage et favorise la création de nouveaux projets grâce à la réutilisation et à la recomposition de contenus ou de services existants. Lorsqu’aucune nouvelle restriction n’est instaurée, les internautes peuvent aider à indexer et enrichir les contenus, comme dans le projet Wikisource.
Cette politique est pour le moins paradoxale. Il me semble qu’il faut plus y voir une volonté politique de maîtrise des partenariats générés par ces contenus numérisés, de la part de la Bnf (et des autres) qu’une volonté d’exclure toute réutilisation. Car il y a aussi là un enjeu politique, voire géopolitique… A l’heure ou Google s’apprête à vendre des livres à la découpe et où OCLC de claires tentations hégémoniques pour constituer un catalogue mondial… on peut aussi le comprendre. L’exemple cité est tout à fait intéressant :
Le projet de « bibliothèque ouverte » [note du Bibliobsédé : il s’agit d’une mauvaise traduction du projet Open Library] qui recycle [dissémine] les données et contenus bibliographiques. Les contenus numérisés intégrés au projet sont librement réutilisables. Toutefois, un grand nombre de bibliothèques ne souhaitent pas autoriser la republication de leurs contenus dans le cadre de cette application. Certains problèmes rencontrés par ce projet sont similaires à ceux que connaîtra Europeana ou la Bibliothèque numérique mondiale.
Notons aussi que cet état de fait est paradoxal, puisque la Bnf propose par ailleurs une libre diffusion des données bibliographiques, hors textes numérisés. Nous nous retrouvons donc dans une situation où la description d’un livre du domaine public constitue une donnée publique largement accessible alors que son contenu doit faire l’objet d’une autorisation avant reproduction… Les conditions d’utilisation des données bibliographiques me semblent en effet assez claires :
La Bibliothèque nationale de France fournit des données bibliographiques (descriptives et d’autorité) qu’elle élabore et qu’elle met à disposition aux conditions d’utilisation suivantes :
- toute personne physique ou morale qui acquiert auprès de la BnF des notices telles qu’extraites par la BnF de ses bases de données, peut librement les utiliser, les adapter, les modifier et les diffuser à condition qu’elles soient sous forme de produit dérivé élaboré ;
- en contrepartie de cette libre utilisation, l’acquéreur s’engage à conserver de façon permanente dans l’enregistrement informatique la mention de source, c’est-à-dire le contenu de la zone 001 de la notice BnF, dans la zone adéquate du format cible (zone 035 en Unimarc par exemple) ;
- la cession à un tiers des notices, telles qu’acquises auprès de la bnF, c’est-à-dire avant leur transformation par l’utilisateur au sein d’un produit ou service élaboré, est interdite.
Pour conclure, comprenez bien la démarche, il ne s’agit pas là de polémiquer pour le plaisir mais de pointer du doigt une contradiction qui vient aussi certainement de la méconnaissance du peu d’intérêt porté en France aux Licences creative commons dont l’usage permettrait une plus grande cohérence, même si comme le note M. Danowski dans son article, leur application est plus délicate qu’elle en a l’air. L’ensemble se situe dans un secteur qui connaît des mouvements tectoniques aux enjeux politiques bien réels.