Quelle identité numérique pour une institution publique ?

Les enjeux de l’identité numérique des individus sont de mieux en mieux compris, analysés et outillés, comme en témoigne le document de référence publié sur cette question : « cultivez votre identité numérique« . Pourtant, il me semble que le sujet n’est jamais abordé sous l’angle de l’institution. Il y a là un sujet vraiment essentiel. Lully posait très justement la question de manière indirecte :

Donc une fois que nous [nous = une Bibliothèque Universitaire, note du bibliobsédé] avons fait en sorte :

  • d’avoir monté un blog
  • d’être correctement référencés sur bibli.othequ.es (en ayant mis en évidence le profil de son serveur Z39.50)
  • d’avoir créé un compte Facebook avec un contenu riche
  • d’avoir créé un univers Netvibes
  • d’avoir créé un compte Twitter
  • d’avoir développé une barre LibX
  • d’avoir acheté un résolveur OpenURL
  • etc.

Que se passe-t-il sur notre site web institutionnel ? Quelle place et quelle forme pour signaler cette dissémination ? (…) Donc entre recherche unifiée et dissémination, les bibliothèques se dirigent vers un grand écart de regroupement des contenus et de dispersion des services. Bref, il faut se reposer pas mal de questions, histoire de décider vers quoi nous allons plutôt que de nous y retrouver par hasard.

En réalité, je pense que cette question  du rapport entre dissémination et « logique portail » ne peut se résoudre de manière satisfaisante qu’en posant au préalable celle de l’identité numérique qu’une bibliothèque doit adopter en tant qu’institution. Comment une bibliothèque publique peut-elle apparaitre sur le web ? Doit-elle se décliner en « services » en « domaines documentaires » ? Comment le logo de l’institution peut-il s’articuler aux avatars de ses membres ?

Bien sûr il y a DES réponses à ces questions. Petite revue critique de 4 types de positionnement :

1. Identité institutionnelle : Il me semble que souvent, faute de réflexion sur cette question, les bibliothèques ont tendance à pratiquer ce qui semble le plus évident : l’identité numérique de la bibliothèque = le logo de l’institution. En apposant un logo sur un profil facebook ou un compte twitter, on communique d’abord sur « l’institution bibliothèque ». Souvent, il s’agit d’utiliser ces réseaux comme des canaux de diffusion, un peu comme si, en plus des actualités de la bibliothèque dans du bulletin municipal on faisait un envoi postal de la plaquette d’information… Il me semble que c’est une double erreur.  D’une part parce que je n’ai pas besoin de recevoir les actualités de la bibliothèque sur twitter ou facebook, j’ai cette information par un canal bien plus pratique et plus évident : le courriel d’actualité ou… la page d’accueil du site de la bibliothèque ! Si c’est juste pour balancer le flux rss des actualités de la médiathèque sur facebook, il s’agit quand même du degré zéro de l’usage d’un réseau social… Je ne suis pas loin de penser ce que résume brutalement Nicole sur le très bon blog des bibliothèques de Montréal, à la question de savoir si la bibliothèque doit aller sur facebook : « Sur Facebook je rencontre mes amis… j’en ai rien à foutre de la bibliothèque ! » En effet, les réseaux sociaux que la bibliothèque veut investir pour « faire 2.0 » sont faits par et pour des individus (ou des communautés ou des marques fortes) non des institutions, qui plus est locales. Sur le web, je me met en scène, je cherche à susciter l’intérêt sur moi ou sur un thème spécifique, en tant que personne, avec ma subjectivité. La communication institutionnelle n’a pas de subjectivité, elle est par essence désincarnée. Attention je ne critique le fait même s’être sur facebook pour une bibliothèque mais je pose la question du comment. Par exemple : 100 fois oui à un groupe facebook des amateurs de littérature contemporaine auquel la bibliothèque participe !

Le positionnement sur le web en tant que pure institution à un autre endroit que sur le site a également un double inconvénient : il force à une communication globale (TOUT ce qui se passe dans l’institution, la granularité est trop forte) et il entre en concurrence directe avec les prérogatives d’un autre acteur essentiel de l’institution : le service communication. Dans les journées d’études que je fréquente, les bibliothécaires font très souvent remonter des conflits avec le service communication de la ville ou de l’Université. Normal, puisque dans ce cas la bibliothèque communique sur elle-même au lieu de pratiquer une médiation de son offre pour ses communautés d’intérêts. Si les choses ne sont pas négociées au départ, la situation est forcément conflictuelle puisque la bibliothèque se promeut en tant que service global et indistinct, ce qui recouvre précisément les objectifs d’un service de communication institutionnelle au lieu de partir des contenus et des services qu’elle peut rendre. Vous allez me dire, facile à dire et comment faire ? Ben attendez la suite.

2. Identité de service : Certaines bibliothèques se positionnent non pas seulement sur l’institution-globale mais sur un service qui porte sa propre marque, et possède sa propre url. C’est le cas par exemple du Guichet du Savoir ou encore du récent Ubib, service de renseignement à distance assuré par un regroupement d’université qui propose une identité forte (et très réussie). Les institutions porteuses du projet n’apparaissent que bien après, dans une page de type « à propos ». L’avantage est d’éviter que ce j’ai bien envie d’appeler l’effet « lire en fête » au sens d’une déformation globale des bibliothèques du type la bibliothèque = lecture. Ici on communique sur un service rendu facilement identifiable  : Une question ? Une réponse ! Et seulement ensuite le fait que les réponses soient données par des bibliothécaires. C’est très différent que de communiquer sur « la bibliothèque trucmuche »  = un équipement = un usage sous-entendu : la lecture de livres littéraires de divertissement. Les bibliothécaires ne sont dans ce cas pas assimilés à des membres d’un équipement mais bien à « des gens qui rendent un service », perçu comme utile (qui plus est quand les questions et les réponses sont publiées, mais c’est une autre histoire) Dans ce cas on est proche d’une marque commerciale : je communique pour faire connaître le service que je rends à un seul endroit : sur un site web, mais je peux décliner une stratégie de communication sur plusieurs sites et des réseaux sociaux pour faire connaître le service en ayant l’avantage par rapport à l’identité de pure institution d’être clair sur ce que je propose. Dans ce cas là le groupe facebook peut être du type : « les fans de Ubib » et dans ce cas là il s’agit de collecter des avis d’utilisateurs et d’échanger avec eux sur le service, par exemple. L’identité de service me semble très intéressante parce qu’elle permet de « passer au dessus de l’institution » pour proposer des services issus de la coopération entre plusieurs institutions.

3 Identité de média-thématique : Par exemple : le blog Médiamus de la médiathèque de Dole dans le Jura est perçu d’abord comme un blog thématique musical avant d’apparaître comme un service de la bibliothèque de Dole. Ce positionnement lui permet d’être très bien classé dans la communauté d’intérêt des amateurs de musique. attention, il ne s’agit jamais de nier l’institution, mais juste potisionner l’image de la bibliothèque par rapport à elle. On est là proches du média participatif, au sens où le blog participe à la conversation globale du web sur ce thème, tout en valorisant les collections de la bibliothèque locale, son  image et celle de la ville, « par ricochet ». C’est le positionnement des blogs thématiques des bibliothèques de Saint-Raphaël sur l’autoformation et l’emploi ou encore de Point d’actus bien que ce positionnement soit global et non thématique (là on est presque dans le journalisme). Il peut y avoir une cohérence avec l’institution dans le cas ou l’institution elle-même est thématique : par exemple un centre de documentation spécialisé en architecture. Pourtant, dans ce cas il me semble que la granularité peut-être affinée. Un positionnement institutionnel-thématique a dans ce cas le défaut de masquer des sous-thèmes du domaine principal en plus d’être « désincarné, comme on va le voir.

Quoi qu’il en soit, j’ai tendance à nettement préférer le positionnement du blog thématique à celui du blog de « la bibliothèque de trifouilli-les-oies » qui bien souvent sous-couvert de « faire web 2.0 » (encore une fois, c’est comme la grippe, c’est contagieux ça.) mélange allègrement des billets thématiques, des billets locaux sur la vie de la bibliothèque ou pire, celle des bibliothécaires… et brouille complètement le message parce qu’il part du principe que les usagers s’intéressent à la bibliothèque en tant que telle et non pas aux contenus/services qu’elle propose.

4. Identité de personnes-ressources : A l’instar des geemiks, il s’agit de positionner l’institution en retrait des individus qui la compose. Les geemiks sont d’abord connues comme des personnes-ressources sur un thème avant d’être perçues comme bibliothécaires de l’ESC de Lille. L’avantage est de recentrer la fonction documentaire non pas seulement sur la ressource, ou le service, mais sur la « personne-ressource » à qui il faut s’adresser pour « accéder à » ou « être orienté dans » les ressources. C’est un positionnement très communautaire au sens où une communauté a besoin de repères et d’animation pour se développer. Dans ce cas, il s’agit de trouver comment articuler des avatars à un logo, celui de l’institution. L’institution passe d’une logique désincarnée à une logique incarnée : ce sont bien les spécialistes qui donnent à l’équipement son intérêt, qui ne va pas de soi. Ce positionnement est bien sûr le plus en phase avec la présence sur des réseaux sociaux via des profils qui favorisent une veille thématique.

Mais pourquoi les geemiks restent-elles un cas isolé ? Pourquoi ne pas intervenir en tant que « Jean-Michel, spécialiste du polar à la bibliothèque trucmuche » plutôt que « la bibliothèque trucmuche » ou moins pire : « la bibliothèque trucmuche, section polar ». Je suis bien conscient des difficultés qui peuvent se poser en terme hiérarchique et/ou politique, mais pourquoi cette peur de s’affirmer sur le web alors que les bibliothécaires mettent tous les jours en jeu leur subjectivité face au public sans que l’on ne ressente le besoin de les modérer ? Il y a un paradoxe cocasse à constater combien les procédures d’accueil et de renseignement font l’objet de peu d’intérêt (ok je généralise un peu là) alors que la moindre intervention sur le web suscite autant de fantasmes !

Tout comme les geemiks, les bibliothécaires doivent me semble-t-il apprendre à cultiver leur identité numérique dans le cadre de l’institution. Il me semble que ça peut tout à fait contribuer à clarifier le rôle du bibliothécaire comme spécialiste de son domaine, au delà de l’aspect gadget « d’un profil facebook de la bibliothèque ». Ainsi, par rapport à un service communication qui entend avant tout promouvoir l’équipement dans la collectivité territoriale, dans l’Université, dans le lycée, dans l’entreprise, etc. la différence est alors claire : aux communicants le positionnement institutionnel = charte graphique déclinable sur plusieurs sites et widgets, logo des avatars; et aux bibliothécaires la médiation numérique = choix des contenus, choix des thématiques sur lesquelles développer des communautés, échanges avec les lecteurs, réponses aux questions documentaires, etc.

Ces stratégies ne sont pas exclusives les unes des autres, et peuvent peut-être aider à une négociation avec les services communication et les tutelles administratives et/ou politiques. Qu’en pensez-vous ?





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