La bibliothèque d’Albi a non seulement osé innover, mais en plus elle rend compte très précisément de l’expérience :
Afin d’améliorer la qualité du service rendu au public et après avoir fait un effort significatif sur les horaires d’ouverture, les bibliothèques municipales d’Albi ont souhaité réfléchir à des innovations marquantes dans leur offre de services. Au cours des discussions sur les pistes raisonnablement envisageables a germé l’idée d’un élargissement majeur des conditions de prêt, voire d’une expérimentation d’un prêt illimité pour les documents sur papier pendant une année.
De quoi s’agit-il ?
Extrait du règlement intérieur des bibliothèques portant sur les conditions de prêt
« L’inscription ouvre droit au prêt selon les conditions suivantes :
- La durée du premier prêt est de quatre semaines pour les livres, périodiques, jeux, partitions et les livres à écouter et de deux semaines pour les CD et DVD ; tout prêt peut être prolongé à la demande du lecteur, pendant la validité de son inscription et avant expiration du délai d’emprunt, sauf si le document a fait l’objet d’une réservation par un autre lecteur.
- 6 CD, 3 films documentaires, 3 films de fiction, 6 livres à écouter et 1 jeu en même temps au maximum ; il n’y a pas de limitation de nombre pour les livres, périodiques et partitions.
- Aucun prêt ou prolongation n’est possible pour un lecteur ayant un ou des document(s) en retard.
- Seuls les documents sortis peuvent être réservés et le nombre de réservations par lecteur n’est pas limité. »
Je salue cette expérimentation qui répond très concrètement aux objections qui avaient été faites ici-même dans le billet que j’avais consacré à la question et surtout dans les commentaires de Jérôme Pouchol en particulier :
Car en effet, plus le nombre de documents empruntables est important (nous sommes déjà à 15 !), plus cela favorise l’effet dit de « carte familiale ». Conséquence = baisse inévitable du nombre d’adhérents (de l’art d’amplifier la décroissance…) et donc (et c’est là l’important à mes yeux) une perte totale de lisibilité quant aux besoins et aux pratiques individuelles des usagers de la médiathèque.
Alors que les médiathèques développent de plus en plus, à juste titre, des services personnalisés (interfaces, moteurs, contenus, outils de veille et de communication…), visant à rapprocher l’offre de service des besoins précis et particuliers de leurs populations, la sempiternelle stratégie de la course au prêt peut ainsi s’avérer non seulement étroite mais contre-productive.
Cette crainte légitime n’est pas validée par les faits :
Si le tassement du nombre général d’inscrits actifs s’est confirmé en 2008, il ne semble pas que le prêt illimité ait eu les effets d’accélérateur tant redoutés : en septembre 2008, le nombre d’inscrits actifs (10 266) est retombé au niveau des deux premières années de l’ouverture (10 574 en 2001, 10 566 en 2002), après avoir connu un pic en 2005 (13 060), pour se réduire ensuite de 7 à 10 % par an. Dans le détail, il n’y a pas de tassement ni de baisse plus forte pour les forfaits ouverts au prêt illimité : ceux-ci ont baissé de 10,9 % entre septembre 2007 et septembre 2008 à la médiathèque. À Cantepau, où la très forte majorité des inscrits prend le forfait simple (93,6 %), la baisse a été limitée à 2 % entre les mêmes dates. Contrairement à ce qui était craint avant l’expérimentation, l’ouverture du prêt illimité n’a pas entraîné de chute significative du nombre d’inscrits.
Au delà de cette question? L’auteur de l’article, Matthieu Desachy termine l’article comme suit :
Aujourd’hui, plus de 22 % des collections en libre accès sont hors de la bibliothèque chez des lecteurs, quand ce taux était à un peu plus de 15 % avant l’expérimentation. Il y a donc encore une marge de progression très importante. D’où la tentation d’une conclusion en faveur d’une rotation accrue des collections et d’une incitation à la sortie maximale des livres à l’extérieur de la bibliothèque : et si la bibliothèque de lecture publique de demain était une bibliothèque aux rayonnages vides, la majorité de ses collections en libre accès étant chez le lecteur et non plus dans les murs de la bibliothèque ?
Il me semble que cela doit rester une tentation… car des étagères vides ne sont clairement pas un objectif à atteindre ! Si le prêt illimité signifie que le taux de rotation augmente, ça signifie aussi un élément très frustrant pour les lecteurs : un taux de disponibilité pour le lecteur très faible = ils ne trouvent pas suffisamment de livres sur un thème ! Pour le coup, il me semble qu’il ne faut pas verser dans la course au prêt, que craignais également Jérôme Pouchol.
Alors lire sans entraves oui ! Avoir une bibliothèque vide NON !