En amont, pendant et à l’issue du débat sur la loi Hadopi, plusieurs bibliothécaires (…) ont publié des billets ou des interviews dans lesquelles ils tendent à faire une analogie entre le système du droit de prêt en bibliothèque et celui de la licence globale
Effectivement : j’avais publié un billet intitulé : Licence globale et droit de prêt en bibliothèque : même combat ! dans lequel je faisais un rapprochement entre ces deux systèmes. Lionel Maurel rappelle avec raison que dans les détails ces systèmes sont différents. Il a bien compris qu’il ne s’agissait pas pour moi de les assimiler stricto sensu mais d’en souligner la proximité.
La licence globale converge certainement avec les valeurs fondamentales de la profession de bibliothécaire, à savoir favoriser un accès le plus large possible des biens culturels pour les citoyens.
Reprenons un point de l’argumentation pour creuser :
1) Les actes de partage en ligne que la licence globale légaliserait ne sont pas assimilables à des formes de prêt
Je passe sur l’argument qui est justifié. C’est vrai, la bibliothèque prête des objets tangibles et la loi porte sur ces objets l’ère du numérique est celle de l’abondance et surtout des biens non rivaux.
En fait le rapprochement (pas analogie, mais rapprochement) était aussi un peu provocateur : alors que les bibliothécaires se sont largement mobilisés lors de ces débats, nos associations professionnelles ont très rarement pris position pour une licence globale. Seule l’ABF a signé l’appel qu’avait lancé le magazine SVM au tout début de la triste aventure Hadopi.
Lionel Maurel de constate :
Si l’on veut comparer des choses comparables, la contrepartie numérique du droit de prêt en bibliothèque ne peut être qu’un droit de prêt en ligne de documents à destination des usagers des bibliothèques.
Certes, et c’est précisément ce point qui m’intéressera aujourd’hui. Car voilà ce que les bibliothèques ont obtenu, après beaucoup d’efforts de l’Interassociation IABD, qu’il faut saluer :
Mission accomplie pour l’Inter-association archives, bibliothèques et documentation (IABD). L’amendement qu’elle a porté tout au long du débat sur le projet de loi «création et internet» a passé l’ultime épreuve parlementaire le 13 mai 2009, dans le cadre du vote définitif du texte par les sénateurs, en seconde lecture. Les bibliothèques publiques, les musées et les services d’archives vont pouvoir communiquer au public, sans autorisation préalable, les copies des documents numérisés par leurs soins, à des fins de conservation ou pour préserver les conditions de leur consultation. Cette communication pourra se faire sur place et sur des terminaux dédiés, à des fins de recherche ou d’études privées par des particuliers.
La loi Hadopi dans laquelle cet amendement a été inséré a donc été vidée de sa substance par le Conseil constitutionnel mais elle a été promulguée. Cet amendement est donc dans la loi. Il n’aborde PAS l’accès A DISTANCE à des ressources numériques proposées par les bibliothèques.
Et pour cause. Rêvons un instant : si on enlève le mot « sur place » dans le texte ci-dessus pour le remplacer par « à distance » et qu’on prend acte que fait que si ça passe par une bibliothèque, le financement est assuré sur fonds publics, la rémunération des ayant-droits aussi, bref on retombe exactement sur un dispositif proche d’une licence globale, mais publique, financée par les bibliothèques (donc les contribuables). Cette licence renoue d’ailleurs avec l’idée d’une exception culturelle, même si, c’est vrai la licence globale souvent envisagée n’est pas forcément publique (rappel de Lionel Maurel), mais plutôt une manière de réguler un marché, au même titre que le prix unique du livre.
Le cadre législatif avance pas à pas et les bibliothécaires ont bien compris qu’ils ne pouvaient se tenir à l’écart de ces questions. La bonne nouvelle, c’est qu’il semble que nous soyons entendus pris en compte dans les négociations du futur traité de l’OMPI (OMPI dont le travail médiocre est la source de ces lois qui se finissent en iiiiii, merciiiiii les gars!).
les futures négociations ne portent que sur les exceptions en faveur des handicapés visuels, mais le communiqué final va plus loin et englobe les questions liées aux bibliothèques et à l’enseignement.
Revenons à la réalité. Hadopi est passée, amputée comme l’on sait par le Conseil Constitutionnel. Le temps que le cadre législatif évolue, c’est pas demain la veille documentaire. Soit. L’offre de contenus numériques proposée par les bibliothèques n’est pas régulée par une loi ni une exception mais dépendante du marché et de prestataires qui proposent des offres aux bibliothèques locales. Les tarifs de ces prestataires sont proposés à chaque médiathèque, ou alors mutualisés et négociés au sein du consortium de la BPI : CAREL pour les bibliothèques publiques et COUPERIN pour les BU.
Dans ce contexte, la question est la suivante : comment une mutualisation des forces des bibliothèques peut-elle faire émerger une licence « Glocale » publique (glocal = global + local, c’est pas de moi). Globale car des contenus sont négociés en amont, locale parce que interfacée localement et publique parce que financée par de l’argent public.
Cette licence Glocale publique pourrait-elle être un avant-goût d’une licence globale qui reste dans tous les cas la solution la plus satisfaisante ?
Mettons de côté un modèle restrictif qui ne fonctionne pas : celui de Bibliomédias et de ses fichiers chronodégarables. Je l’ai déjà dit et répété, ce modèle est inadapté aux attentes des usagers, parce que précisément il calque le modèle de la rareté sur celui de l’abondance à coups de DRM. En revanche, la solution qui s’impose petit à petit est celle du streaming de la lecture en continu qui intéresse d’autres prestataires s’adressant aux bibliothèques.
Pour ce modèle, qui n’est qu’un modèle parmi d’autres possibles, (notamment expérimenté chez CVS via Franck Gabriel avec qui j’ai pas mal discuté sur le salon de l’ABF) l’idée est la suivante : le prestataire achète des droits sur des contenus, construit et commercialise une plateforme numérique de mise à disposition et la commercialise auprès des bibliothèques. Un abonnement est proposé aux usagers de ladite bibliothèque. Ces contenus sont accessibles sur place ET à emporter (sic) via une interface souvent distincte du site de la médiathèque. Il me semble en effet, que le « à distance » est indispensable.
Malheureusement, certains titulaires des droits (en particulier pour la musique et le cinéma) entendent revenir à une forme de rareté en faisant payer aux bibliothèques un abonnement + une tarification au volume de consultation : plus les gens écoutent ou regardent et plus c’est cher pour la bibliothèque ! Soit, c’est moins pire que des DRM, mais admettons 🙁 A partir de là, deux cas existent :
- soit la bibliothèque va répartir ces droits achetés par adhérent sous la forme : votre inscription vous permet de consulter 100 titres en streaming dans le mois, par exemple;
- soit la bibliothèque achète un paquet de droits de consultation qu’elle propose à tous ses adhérents : ils peuvent ainsi avoir une illusion de l’illimité (tout est ensuite affaire de négociation et de volume).
On voit très vite que le modèle le plus proche des pratiques installées des usagers et de l’idée d’une licence est le second car il correspond à une abondance financée en amont. Si ces offres se développent comme c’est le cas actuellement, il suffit donc d’être adhérent à une bibliothèque pour une somme modique ou même inexistante pour avoir (potentiellement) accès à une très large base de contenus. C’est la voie que prennent, parmi d’autres, les bibliothèques de la Roche-Sur-Yon et très récemment la Bibliothèque Nationale de France, excusez du peu ! (Les accès à distances à des ressources sont très développés dans les BU via les ENT, bien plus que dans les Bibliothèques municipales et intercommunales).
D’ailleurs, concernant l’information scientifique et technique, je ne croyais pas si bien dire en écrivant ce billet puisque je viens de lire que le consortium Couperin, l’Adbu, et l’Aura viennent de proposer des Licences Nationales
Les licences nationales permettraient l’accès aux ressources de manière pérenne à tous les établissements qu’ils soient grands ou petits et ceci dans de multiples disciplines.
Elles nécessitent pour chaque produit à acquérir le recours à un opérateur unique. Cette mutualisation des achats s’adosserait à la politique des établissements, qui permettrait ainsi une « optimisation des politiques publiques« .
Il s’agit bien d’une forme de licence publique. Je me dis que les bibliothèques publiques feraient bien de s’inspirer de l’expérience des bibliothèques universitaires…en particulier pour l’accès à des données audiovisuelles en streaming (mais pas que).
Ces licences locales d’accès à des contenus numériques posent aussi le problème suivant : il s’agit de garantir la jouissance des contenus uniquement aux abonnés et d’éviter une circulation des mots de passe ou des IP permettant d’accéder aux contenus… mais c’est un risque inévitable sur internet.
Pour les bibliothèques municipales et intercommunales, nous sommes face à des moyens publics investi de manière très éparpillée avec des tarifs, notamment pour la musique et les contenus vidéos qui sont prohibitifs pour la bonne raison que ces offres émergent. Le risque est réel de voir s’imposer par le couple ayants-droits/prestataires des tarifs élevés du fait de volumes de consultation qui sont localement bas, même si les accès sont mutualisés.
Rêvons encore un peu. (soyons des professionnels du rêve!) Et si les bibliothécaires arrivaient à négocier ensemble, massivement, des licences d’accès à une énorme base de contenus, cette fois-ci non pas au niveau local du territoire de la bibliothèque, mais au niveau global des territoires desservis par les bibliothèques en France ? Et si, par cette mutualisation on pouvait obtenir un volume de consultations qui tende vers un abonnement illimité, qui soit un modèle rentable pour des plateformes commerciales ET des tarifs acceptables par les bibliothèques ?
Et si nous suivions le conseil d’Olivier Ertzscheid évoqué ici et développé lors du congrès de l’ABF de porter une grande attention à la différence entre contenus et interfaces ?
Vous allez me dire oui, ça existe déjà y a CAREL. Sauf que CAREL ne peut fonctionner que si les bibliothécaires l’utilisent :
- Pour faire émerger une demande bien identifiée
- Pour peser dans les négociations
Force est de constater que les accès à distance depuis des sites de bibliothèques ne sont pas légion… Alors bibliothécaires, il est temps de jouer collectif ! Il est difficile de faire comprendre 36 000 fois (autant que de communes françaises, pour aller vitre hein) que la bibliothèque est dans le territoire local et dans le web global. Mais c’est en revanche plus facile efficace de jouer sur des effets de réseaux territoriaux, à la plus grande échelle possible en proposant des interfaces locales déclinant des masses de contenus négociés globalement sur la base de nombres d’inscrits à des bibliothèques… locales.
Oui nous avons tous intérêt à faire émerger un « biblio-deezer » et un portail de « biblio-VOD » en marque blanche financé par nous et pour nos adhérents, via un prestataire (bon, je sais aussi que plein de gens viennent dans les bibliothèques sans adhérer mais alors là c’est compliqué à faire valoir dans une négociation chiffrée, par définition).
Oui nous avons tout intérêt à passer par quelques prestataires capables de s’adapter à nos besoins en contenus plus qu’en interfaces tout en nous laissant jouer notre rôle de médiateurs pour contribuer à orienter dans l’abondance.
Oui l’abonnement à une bibliothèque est un droit d’accès à un LIEU, a des SERVICES et à des CONTENUS (les trois mon capitaine, on pourrait même ajouter à une expérience).
Nous avons besoin de licences glocales publiques. CQFD 😉
Bien sûr, il s’agit là d’hypothèses nécessairement imparfaites par rapport à une licence globale pour tous les citoyens, inscrite dans la loi que j’appelle avec d’autres de mes vœux et qui arrivera un jour, Mulder me l’a dit.
Mon petit doigt me dit qu’en attendant, d’échec législatifs en modèles économiques non trouvés (introuvables ?), Deezer et cie finiront par susciter l’attention des politiques publiques. Lionel Maurel a encore une fois raison : plus les bibliothécaires auront expérimenté ENSEMBLE, plus ils apparaitront comme des interlocuteurs crédibles.
En attendant, le développement d’accès A DISTANCE à des contenus depuis les sites des bibliothèques ne peut, me semble-t-il que contribuer à la reconnaissance d’un rôle de diffuseur du savoir, parmi d’autres, plein d’autres, dans un secteur culturel public reconnu.
Hé les gens, c’est ouvert hein, c’est des pistes, qu’en pensez-vous ?
crédit photo : Alain Fraboni, Artiste et enseignant en Arts plastiques, www.alainfraboni.blogspot.com