Bibliothèques 2.1 et bibliothèques à 2(.0) vitesses ?

ecoconduiteeconomiquetoto-eco-leviervitessesIntéressant article de Brian Matthews accessible ici en .doc et en anglais et publié dans le Journal of  librarianship. Dans cet article, Brian Matthews se demande si nous ne devons pas désormais parler de bibliothèque 2.1. puisque cela fait des années maintenant (2005) que nous parlons de web 2.0 et de « bibliothèques 2.0« . On peut en effet dater le web 2.0 entre 2004 et 2007, si on déclare sa mort, ce que la crise économique incite à faire. Quant aux bibliothèques 2.0 l’invention du concept par Michael Casey date de septembre 2005. Brian Matthews prend l’exemple de la version 2007 de Microsoft Word : au début, il a été perturbé comme beaucoup d’utilisateurs des versions précédentes par la nouvelle organisation interface du logiciel. Puis, en commençant à l’utiliser, il s’est peu à peu habitué, et il se retrouve finalement à chercher comment gagner du temps en utilisant au mieux les fonctionnalités et en exploitant les astuces du logiciel. (oui je vous vois venir, il aurait pu aussi passer sous Open Office, mais c’est qu’un exemple, une image, bande de militants du libre… 🙂

Pour lui certaines bibliothèques au USA ont clairement passé un cap, celui de l’intégration d’une « démarche 2.0 » qui permet d’améliorer les services aux usagers. C’est ce qu’il propose d’appeler des Bibliothèques 2.1. Il précise bien dans son billet que la démarche « Bibliothèques 2.0 » ne porte pas que sur les technologies, il s’agit bel et bien de penser des services pour des usagers, essence même du web 2.0…

Si on prend la fameuse Courbe de Rogers qui propose un modèle d’adoption d’une innovation au sein d’une population, et que l’on considère l’usage du web 2.0 par les bibliothèques comme un faisceau d’innovations, en prenant en compte la typologie suivante :

  1. les innovateurs (3 %) qui ont l’esprit d’aventure et qui aiment les nouvelles idées ;
  2. les adopteurs précoces (13 %) qui sont des leaders d’opinion et qui adoptent les innovations avec une certaine prudence ;
  3. la majorité précoce (34 %) qui n’est pas constituée de meneurs et qui adopte les nouveautés avec réflexion ;
  4. la majorité tardive (34 %) qui n’adopte les innovations qu’une fois que la majorité en a démontré l’intérêt ;
  5. les réfractaires (16 %) qui craignent toute évolution.

Évidemment, la question est : où en est-on en France ? Pour les USA Brian Matthews constate que les services de certaines bibliothèques sont arrivés à maturité en citant 3 ou 4 exemples, ça ne saurait suffire… Ceci dit, à n’en pas douter un cap a été franchi au niveau global. C’est confirmé par Manue de Figoblog dans ses notes relatives au dernier congrès de l’IFLA :

Le reste de la conférence a montré que les bibliothèques sont totalement entrées dans l’ère du 2.0, que le Web 2.0 ne se différencie plus du Web tout court, c’est le Web dans lequel nous sommes, et nous commençons déjà à regarder au-delà, vers le Web 3.0. Cela se manifeste en particulier par un questionnement qui a dépassé les préoccupations que nous avions il y a quelques années, soit purement techniques (comment faire un blog, qu’est-ce que RSS…) soit purement éthiques (est-ce que Wikipedia c’est mal…) Les bibliothécaires ont pris acte de ce nouveau Web, et maintenant leur question porte plutôt sur la dimension organisationnelle de leur présence dans le Web 2.0.
Sont ainsi revenues à plusieurs reprises les questions de compétences, de formation, de profil de recrutement des bibliothécaires 2.0.

Pour la francophonie, à regarder l’état des lieux dressé par l’indispensable Calimaq, les expérimentations sont nombreuses et enthousiasmantes, elle ne représentent qu’une partie mineure de l’ensemble des bibliothèques françaises. Mais toute étude plus poussée ne pourrait faire l’économie de cette question : Qu’est-ce caractérise une bibliothèque qui a pris un virage numérique ? Suffit-il d’ouvrir un blog et de mettre 3 ou 4 vidéos sur YouTube pour se déclarer bibliothèque 2.0 ? Bien sûr que non. Alors quels peuvent être les critères ?

Voilà quelques points qui me semblent discriminants et qui peuvent permettre de voir si une bibliothèque a pris le virage numérique, disons, d’une manière qui n’est pas trop superficielle… Ces points sont présentés ici sans ordre d’importance, la liste est ouverte :

  • Un plan de formation a été mis en œuvre afin de développer une « culture numérique » commune ;
  • L’activité de mise en valeur des collections et de rédaction de contenus est reconnue comme importante, aux côtés de la programmation culturelle de la bibliothèque ;
  • Cette activité de médiation est dévolue en premier lieu aux acquéreurs, elle est coordonnée par une personne ou un groupe de personne ;
  • L’activité de veille documentaire en information documentation et sur les domaines d’acquisition est reconnue sur les fiches de postes des agents ;
  • Les agents utilisent au quotidien certains outils numériques qui facilitent la gestion interne (agendas partagés, messagerie instantanée, wiki, etc.) ;
  • Les outils numériques utilisés par l’institution (blog, etc.) font l’objet d’un suivi attentif d’une personne ou d’un groupe de personnes ;
  • Les interactions avec les internautes font l’objet d’une modération a posteriori ;
  • L’identité numérique de la bibliothèque fait l’objet d’un débat en interne et/ou (dans le meilleur des cas) a été négociée avec le service informatique ;

On le voit (et on le répète en formation, et le CNFPT proposera des formations en ce sens dans les mois qui viennent, alléluia) les questions numériques dans les bibliothèques doivent être prises au sérieux et intégrées dans l’organigramme et le projet de service de l’établissement.

Il me semble pour la France et de ce que j’ai pu voir au Québec, que nous sommes entre les phases 2 et 3 de la courbe de Roger, soit entre les « adopteurs précoces » (les bibliothèques 2.1 ?) et la majorité précoce (les bibliothèques 2.0)… dans tous les cas de la prudence et de la réflexion trop souvent synonyme d’attentisme 🙄 Même s’il est sans doute illusoire de penser qu’un jour 100 % des bibliothèques valideront les pistes énoncées ci-dessus, il est quand même essentiel, je trouve, de réduire les écarts entre des bibliothèques à 2(.0) vitesses, l’une bloquée au stade de l’expérimentation solitaire et curieuse et l’autre celle de la véritable introduction du numérique au service du projet de service. Voilà c’est dit.

Silvae

Je suis chargé de la médiation et des innovations numériques à la Bibliothèque Publique d’Information – Centre Pompidou à Paris. Bibliothécaire engagé pour la libre dissémination des savoirs, je suis co-fondateur du collectif SavoirsCom1 – Politiques des Biens communs de la connaissance. Formateur sur les impacts du numériques dans le secteur culturel Les billets que j'écris et ma veille n'engagent en rien mon employeur, sauf précision explicite.

5 réponses

  1. Calimaq dit :

    Indispensable, tu y a vas fort !

    Ce qui est indispensable surtout, c’est l’envie d’adopter ces outils et ces pratiques pour faire des expériences dans nos établissements et inventer une nouvelle relation à l’information, au public, aux contenus.

    Et ton billet permet de mieux nous situer par rapport à ces évolutions.

    Je précise que depuis que j’ai fait cette étude sur les Bibliothèques 2.0 en France, beaucoup de choses se sont passées dans les bibliothèques, que je n’ai pas eu le temps de recenser.

    Mais les pages de Bibliopedia sur Twitter, Netvibes, les Biblioblogs, Facebook (etc) se sont bien étoffées. Alors allez faire un tour là-bas si vous voulez en savoir plus : http://www.bibliopedia.fr/index.php/Accueil.

    Et surtout si vous connaissez des initiatives qui ne figurent pas dans ces listes, contribuez à Bibliopedia et faites progresser notre connaissance des pratiques innovantes !

  2. B. Majour dit :

    Le virage numérique…

    Après un plan de formation (durée : 1 à 2 ans ? Plus suivant les structures et le nombre de personnels à former)… et tu voudrais que nous fassions parties des majorités précoces ? :-)))

    Trop cool ! Mais néanmoins probable.

    Par contre, je me pose questions sur :
     » * Cette activité de médiation est dévolue en premier lieu aux acquéreurs, elle est coordonnée par une personne ou un groupe de personne ; »

    Pourquoi aux acquéreurs en premier lieu ?

    N’est-on pas là, et encore comme toujours, dans le « Up Down » (Web 1.0) : moi, bibliothécaire, je choisis pour vous !

    Pas de « Up Down » dans Youtube, ou dans le Web 2.0 en général.
    C’est le grand partage, avec recommandation (du nombre), avec échanges permanents entre les membres qui sont tous égaux. Avec suivi sur certains qui nous paraissent pertinents dans notre propre recherche.

    La liste que tu proposes me paraît encore bien ancrée dans le 1.0.

    Cependant, dans ton billet, tu as raison si on parle « d’inscription » dans le Web 2.0…
    Sauf que, l’acquisition n’est pas une obligation dans le Web 2.0.
    Etre présent sur Tweeter, Facebook et autres réseaux sociaux, participer à la co-création de contenus en ajoutant sa pierre à l’édifice… être présent sur le numérique, au point de créer une identité numérique (avec ses spécificités), voilà ce qu’est une inscription dans le Web 2.0.

    D’où ma première question : pourquoi aux acquéreurs en premier lieu ?

    Ne faut-il pas, maintenant, penser plus large ? 2.0 ?

    Dans le support papier, on en est encore au « Up Down », une petite poignée de fournisseurs (ou au moins une poignée dénombrable), qu’un acquéreur peut maîtriser et connaître.
    Lorsque l’univers 2.0 tombe dans l’innombrable des fournisseurs.

    On suppose aussi une médiation… lorsque Youtube ne se pose même pas la question de médiation (mais de référencement, d’accès, de propositions pour d’autres vidéos du « même genre »).
    Un référencement effectué par les participants eux-mêmes ! (qui leur parle)

    Les pistes que tu proposes sont à destination d’une cuisine interne.
    Mais elles oublient le principal : on ne construit plus les collections POUR… mais AVEC les usagers.

    Plus d’yeux, plus de ressources potentielles !
    Plus de pistes, plus de liens, de ressources à vérifier, classer, taguer, organiser.

    Ce qui n’empêche pas, bien au contraire, les bibliothécaires acquéreurs de poursuivre leur travail de recherche et d’organisation (réflexions sur une collection numérique)… pourtant, même là, il faut penser bien plus large. Il faut penser global : le travail de l’un peut être offert à tous, et le travail de tous peut être offert à l’un.

    Dans chaque cas, se penser comme unité perdue, isolée au milieu du monde numérique, c’est du Web 1.0.

    Comme peut l’être l’idée de négocier son identité numérique auprès du service informatique.
    L’identité numérique n’est pas un site, c’est ce que l’on est sur le Web.
    Et cette présence est multiforme.

    Ouverture, Partage, Nous…

    Bien cordialement
    Bernard Majour

  3. @B. Majour : Tu as raison, bien entendu que tout ça doit viser à travailler mieux AVEC les publics. Mais il m’a toujours semblé que la première étape est de faire prendre conscience aux professionnels qu’ils ont un formidable potentiel de recommandation et de médiation. Crois moi, pour l’expérimenter, ce n’est pas toujours facile. Il me semble qu’il est d’autant plus facile de développer des projets avec les publics une fois qu’une équipe, dans sa cuisine interne, pratique une activité de médiation. Pour les acquéreurs : ils me semblent structurants dans les bibliothèques qui ont mis en oeuvre une poldoc et sont de fait les mieux placés comme connaisseurs des fonds et donc idéalement comme « animateurs de communautés » autour de ce fonds, ça n’exclue pas d’autres participants bien sûr. On peut toujours aller plus loin ! J’avais d’ailleurs esquissé ce que pourrait être une bibliothèque « vraiment participative » : http://www.bibliobsession.net/2008/12/09/les-bibliotheques-participatives-restent-a-inventer/ Je te laisse juger des obstacles qui se dressent… Une pierre après l’autre. 🙂

  4. cyrz dit :

    j’aime bien la définition des bibs numériques les critères me paraissent pertinents… mais il reste bcq d’inerties politique ou sctucturelles pour passer au stade du projet de service validé par les tutelles!!!

  1. 8 septembre 2009

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