En regardant cette présentation réalisée grâce à Prezi et proposée par Raphaelle RIDARCH, je me suis rendu compte qu’un élément est devenu vraiment essentiel pour appréhender ce qu’est une bibliothèque, c’est le déplacement d’une démarche d’abord centrée sur la « constitution de collections en fonction d’objectif déterminés au regard d’une population à desservir » vers une démarche d’abord centrée vers la « médiation (ou les médiations) de ces collections à travers une « stratégie de contenus ». Observez cette présentation :
Toutes les étapes de cette « stratégie de contenu » sont applicables à une bibliothèque, de la collecte des contenus ou de leur création, à leur description et leur médiation. Il suffirait juste d’adapter les sources de constitution des collections et d’appliquer les étapes décrites à des objectifs de politique publique pour obtenir la mise en œuvre d’une politique documentaire.
Au fond, tout se passe comme si ces étapes si souvent décrites et enseignées dans les 20 dernières années étaient transposables sur le web, cette fois bien au delà des bibliothèques, à tous acteurs souhaitant produire/collecter, diffuser et promouvoir des contenus sur le web. Je crois qu’il faut nous réjouir de cet état de fait.
Pour autant, trop souvent dans les bibliothèques les politiques documentaires ont été tirées vers une gestion des collections intelligente/réfléchie (dans le meilleur des cas hein, au pire une conception purement techniciste à base de taux de rotation ou d’une charte documentaire imposée par la direction) sans véritablement prendre en compte en termes opérationnels les modalités de médiation de ces collections. C’est d’ailleurs pourquoi de ce point de vue global, il faut souvent plaider en formation pour la notion de « Projet de service » au lieu de « politique documentaire », ou pire, de « politique d’acquisition ».
Par exemple, dans le livre « Conduire une politique documentaire » de Bertrand Calenge ne figure pas de partie consacrée à l’accueil, ne serait-ce que sous l’angle des procédures. Le lecteur n’y trouvera point de réponse à la question : comment harmoniser au sein d’une équipe les modalités de l’accueil et du renseignement des publics via des outils ou des procédures formalisées, de manière conjointe à l’organisation de la gestion des collections ?
A l’inverse, je me suis souvent étonné de voir dans les ouvrages consacrés à l’accueil des publics (comme celui-ci de Marielle de Miribel) un lien quasi-inexistant avec la gestion de ce sur quoi va porter le renseignement : les contenus proposées par les bibliothèques (ne serait-ce là encore que par des outils). Bien peu nombreuses sont les bibliothèques qui constituent des bases de données facilitant la diffusion de connaissances en interne (question récurrentes, etc.) destinées à une meilleure qualité de renseignement des usagers.
Avec le numérique, il devient pourtant évident que créer et collecter des contenus suppose de penser également leur médiation, pour la simple raison que le référencement d’un contenu web lui est consubstantiel.
A cet égard, les services de renseignement à distance (suivez la série de billets sur le sujet sur l’excellent Bibolabo) ont une place particulièrement intéressante, puisqu’ils cherchent à répondre à des questions d’internautes/usagers, en mobilisant des contenus disponibles en ligne et/ou hors ligne, les réponses proposées devenant elles-même des contenus à part entière à diffuser et à promouvoir. Le service emblématique de ce point de vue est le Guichet du Savoir, par ailleurs crée par Christelle Di Pietro précisément dans cette optique, ce n’est pas pour rien que les questions et les réponses sont publiques et référencées par google. Le succès est d’ailleurs exceptionnel, puisque Bertrand Calenge annonce pour l’année 2008 dans le rapport d’activité des Bm de Lyon que
le Guichet du Savoir, service autonome de questions-réponses en ligne, a reçu 4 650 nouvelles questions, et dépassé les deux millions de visites (2 007 131) en 2008
Ce type de service est intéressant puisqu’il contribue, au delà des publics destinataires, à former les équipes de bibliothécaires à répondre à des questions par écrit (la question est ensuite de savoir en interne : qui est formé à quoi et qui répond…), donc pratiquer la rédaction sur le web, qui plus est en vue de constituer une base de connaissance réutilisable à grande échelle.
Au passage, précisons ces services sont encore considéré par beaucoup comme une transposition de l’accueil en temps réel dont le contenu peut s’envoler, comme les paroles… 🙄 Pourquoi ? Parce que de nombreuses bibliothèques se sont satisfaites (à défaut d’alternative qu’elles auraient pu faire développer, si, si.) d’une gestion de ces bases de connaissance au moyen d’un logiciel propriétaire : Question-point qui facture l’accès aux contenus crée par les utilisateurs du service (hérésie ! 😈 ).
D’un point de vue global, ces services de réponse à distance sont de formidables « stratégies de contenus » capables de tisser un lien entre global et local, au sens où répondre à des questions contribue forcément à l’implication des bibliothécaires dans les contenus, loin de les éloigner des publics locaux et rend possible une meilleure qualité d’interaction avec eux…
Tout cela s’inscrit d’ailleurs dans une démarche de prise en compte des usagers numériques des bibliothèques. D’ailleurs il est intéressant de constater que les bibliothèques de Lyon relient de manière explicitent dans leur rapport annuel les « entrées à la bibliothèques » et les « visiteurs des sites » en les comptabilisant (page 32 du rapport annuel 2008).
Au delà des services de renseignement à distance, il me semble de la diffusion de contenus (critiques de livres, etc.) via, par exemple un blog thématique est une excellente manière non pas de remplacer, mais de venir appuyer sur le fond(s) une démarche de formation aux techniques d’accueil des publics. C’est le travail très intéressant mené par les bibliothèques de la Ville de Rouen qui a formé l’ensemble de l’équipe à « l’intelligence émotionnelle » tout en expérimentant une démarche de veille en interne.
Ainsi, il me semble que l’évolution de politiques documentaires vers des stratégies de contenus pose la bonne question : celle des passerelles entre le lieu physique et l’Internet, en évitant l’écueil trop souvent constaté d’une équipe numérique dont le rôle est uniquement de gérer un espace multimédia, et/ou d’acheter des « ressources numériques » payantes. Attention il ne s’agit pas de dire que cela n’est pas nécessaire, mais que ça semble très insuffisant puisque de fait, la question de la « mise en valeur » de ces ressources se pose. Envisager une « stratégie de contenus » plus globale permet de considérer ces ressources numériques vers ce qu’elles sont : des entités numériques ayant une cohérence, mais nécessitant un travail de médiation, au même titre que les objets tangibles des bibliothèques.
J’ai envie de poser la question suivante, qui est une vraie question pour moi. Les bibliothèques seront-elles capables de passer d’une conception de « services rendus à partir d’objets culturels tangibles » à une stratégie de « médiation des contenus relatifs à des objets numérique et tangibles » impliquant un rapport avec des publics locaux ET des publics d’internautes ? Il me semble que les réponses seront très liées à la manière dont les bibliothécaires vont être capables de penser les rapports entre le local et le global.
Pas facile, mais passionnant !