Ce mot recouvre à la fois le désir d’un intérêt actif et visible des usagers pour nos services et les contenus proposés, mâtiné d’un souhait de reconnaissance de notre utilité sociale et de nos compétences (résiiiste, prouve que tu exiiistes) et d’une nécessaire valorisation des montagnes de ressources que nous mettons à disposition…
Ces aspirations sont toutes légitimes, à condition de ne pas tout mélanger…
Gilles Balmisse propose à cet égard une très intéressante distinction entre participation et collaboration. A partir des activités et des outils numériques internes en entreprise :
Alors que les outils classiques soutiennent une collaboration formelle dans un cadre bien établi, les outils sociaux quant à eux se positionnent sur un registre beaucoup plus social et moins collaboratif. Ces outils reposent en effet plus sur la participation que sur la collaboration.
Et de distinguer :
Une collaboration formelle pour la rédaction d’un document nécessite une définition des rôles, des tâches de chacun ainsi que les délais y afférents . Les collaborateurs sont nécessairement impliqués du fait de la définition claire de leurs tâches et de leurs responsabilités.
Autrement dit, une bibliothèque qui propose des procédures et des outils pour créer des contenus en commun sur un site ou un blog fait déjà du collaboratif comme M. Jourdain ! Pour autant, elle n’est pas forcément dans une démarche participative… Une bibliothèque peut donc tout à fait avoir une page ou un profil facebook, un univers Netvibes, etc. sans pour autant développer une quelconque interaction avec le moindre usager…
Dans le cadre de la participation, ce sont des premiers collaborateurs qui vont initier le travail, de manière plus ou moins formelle et généralement sur la base du volontariat, et inciter d’autres rédacteurs à venir s’ils le souhaitent apporter leurs contributions, sans contraintes sur le périmètre et le volume de production. C’est la combinaison progressive de l’ensemble des contributions et des échanges réalisés autour de ces contributions qui va permettre d’aboutir au final au document qui va constituer une véritable œuvre collective. Il faut toutefois noter que dans une approche de participation pour obtenir un travail de qualité, une animation des contributeurs et un encadrement des productions sont nécessaires.
(…) Les outils sociaux offrent une meilleure accessibilité à l’information qui devient plus ouverte et plus vivante mais ils ne sont pas forcément les mieux adaptés ou les plus efficaces pour répondre à des besoins très précis et particuliers de collaboration.
Je partage cette approche. Le paradoxe est le suivant : nous avons dans les bibliothèques une gigantesque masse d’informations à proposer et nous sommes (globalement, d’après moi, en humant l’air du temps bibliothéconomique, sniiirfl) en déficit de données de médiation et d’outils de participation non pas pour les organiser et y donner accès (ça on sait le faire) mais pour les rendre lisibles sur le web et dans les espaces des bibliothèques. Cela plaide à mon sens pour une éditorialisation des bibliothèques. Lionel Dujol utilise quant à lui cette belle formule : il nous faut devenir, toute proportion gardée, les journalistes de nos collections (on pourrait ajouter que les journalistes doivent quant à eux devenir les bibliothécaires de leurs contenus… ;-).
Pour clarifier, j’ai l’impression qu’on projette sur le mot collaboratif A LA FOIS la participation des usagers ET les moyens qui leur sont donnés pour s’approprier des contenus ET l’activité de concevoir des contenus de manière collaborative entre bibliothécaires… ou plus largement (forcément, dès qu’on est plus d’un, comme disait l’autre, il faut s’organiser). Soit dit en passant, ce que j’appelle médiation numérique est l’ensemble de cette démarche, à la fois collaborative et participative, ensuite.
Ainsi, si l’on essaie de remettre les choses dans un ordre chronologique possible du point de vue du bibliothécaire :
1. Définir une identité numérique : Qui parle ? A Qui ? Avec Qui ?
2. Définir des processus de collaboration et déterminer des outils et des formes : Qu’est-ce qu’on valorise comme contenus, comme services et/ou comme compétences et comment ?
3. Essayer de fédérer des communautés autour de contenus (ou de services) et de faire naître des effets de réseau.
C’est au point 3 que l’intérêt d’une mutualisation entre bibliothèques prend sens : plus on est de fous et plus les fous s’agrègent et se mettent à s’envoyer des boules de neige en visant la bouche et l’oreille ! Encore une fois, c’est Olivier Tacheau qui met le doigt au bon endroit (en plus c’est fort bien formulé !) :
Il y a peu de chance pour que les usagers fassent salon dans nos modestes portails et autres sites web. Même si ces derniers deviennent vertueusement tagables, commentables, réorientables, s’ils ne proposent pas de valeur ajoutée, de contenus originaux attractifs ou d’assemblages documentaires particuliers en ligne, s’ils demeurent exempts de toute matière « vivante », singulière et visible sur le net, nous périrons… par le vide.
Nous devons comprendre et faire comprendre la valorisation comme un aboutissement qui requalifie les stocks et les flux dont nous avons la charge et remédiatise les services que nous offrons et (ré)inventons. Il est donc fondamental de former les collègues à l’individualisation et à l’expression de leurs choix professionnels, non pour s’afficher ou prendre position individuellement (soit dit en passant, il y aura aussi un moment où il faudra former les nouvelles générations à passer de la personnalisation à la personnification), mais pour créer et participer à une « position » tout à la fois commune et plurielle de la bibliothèque dans le paysage documentaire.