Bibliothèques et réseaux sociaux littéraires, où en est-on ?

A eu lieu récemment un débat à partir du billet de Bertrand Calenge : Pourquoi les catalogues de bibliothèques ne peuvent pas être 2.0 billet auquel à répondu d’Hubert Guillaud : Pourquoi avons nous besoin de catalogues 2.0Au coeur de ce débat une question : A quoi sert un catalogue de bibliothèque pour l’usager ? En guise de contribution, je vous propose un texte d’Alexandre Lemaire qui analyse finement l’état actuel d’un nouvel acteur essentiel pour aborder la question du catalogue : des lecteurs qui partagent leurs lectures dans un réseau social littéraire dont les données peuvent interagir avec des catalogues.

Mais d’abord, qui Alexandre Lemaire ?

Après avoir exercé douze ans dans le secteur des bibliothèques publiques, Alexandre Lemaire est actuellement responsable des projets d’informatique documentaire visant les bibliothèques publiques et formateur pour les bibliothécaires au Ministère de la Culture à Bruxelles. Ingénieur et bibliothécaire de formation, il suit actuellement un cycle d’études « Informatique – Systèmes d’information » au CNAM de Lille.

Je vous livre son texte brut, parce qu’il me semble particulièrement clair et intéressant, je me permets juste d’en souligner des passages en gras. Merci à lui de partager ces réflexions, auxquelles je souscris complètement y compris pour la conclusion.

Une nouvelle offre apparaît sur le marché  francophone à destination des bibliothèques : le contenu de bases de données de réseaux littéraires sociaux. Actuellement, et bien qu’ils ne soient pas seuls sur le marché, deux produits sont particulièrement « visibles » : Babelthèque (fourni par Babelio) et LibFly (fourni par Archimed).

Ce contenu est alimenté d’une part par des accords entre ces réseaux et un fournisseur commercial (notices bibliographiques, résumés ou présentations de l’éditeur, photo de la couverture,…) mais aussi, et surtout, par les internautes membres de la communauté d’un réseau (commentaires, notes sous forme d’étoiles et moyennes de ces notes, « tags », etc.).
La première partie, plus descriptive, intéresse peu les bibliothécaires (sinon peut-être les images de couverture) qui ont d’autres sources, contrairement à la seconde. Ceux-ci, après une probable réticence face à la qualité estimée des commentaires, se rendent compte que ces données leur permettent d’une part de compléter des zones d’information insuffisamment fournies par eux et/ou par les fournisseurs de notices bibliographiques traditionnels, d’autre part de conférer au catalogue une présentation plus Web 2.0. Une telle présentation contribue à donner des bibliothèques une image plus moderne voire plus « branchée », notamment aux yeux de deux publics qui nous échappent, les adolescents et les jeunes adultes.
Par ailleurs, ces réseaux proposent maintenant une distinction entre commentaires selon qu’ils proviennent de l’internaute lambda, d’un bibliothécaire, d’un libraire ou d’un critique littéraire ce qui aide également à lever la réticence initiale des professionnels des bibliothèques.

Les bibliothèques intéressées par cet enrichissement de leurs notices bibliographiques pourraient développer (ou faire développer) des fonctionnalités de réseau littéraire au sein de leur catalogue mais plusieurs interrogations subsistent, notamment :
  • elles ne sont pas sûres d’atteindre une masse critique de commentaires et de « tags » suffisante, d’autant qu’un doute plane sur le fait que les lecteurs des bibliothèques aient le profil d’internautes participant à une communauté littéraire sur le Web (certaines bibliothèques anglo-saxonnes ayant fait ce choix constatent un manque de contribution sous cette forme de la part de leurs usagers) ;
  • le bibliothécaire possède-t-il la compétence, le temps (et la motivation !) pour animer un réseau littéraire social ?
En ce qui concerne le stockage des données, on rencontre deux cas de figure dans les contrats liant un fournisseur de contenu de réseau littéraire social à un propriétaire de catalogue (une bibliothèque, par exemple).
  • Soit le prestataire vient ajouter les commentaires, tags et notes de sa base à ceux déjà existant sur le catalogue de son client ;
  • soit il enrichit avec le contenu de sa base le catalogue du client en affichant à la volée (via un Web service, par exemple) le contenu correspondant à la notice lors de son affichage (ou lorsque l’usager clique sur un lien apparaissant dans cette notice).
Les catalogues en ligne des bibliothèques municipales de Toulouse et de Dole (qui ont fait des choix de fournisseurs différents) permettent d’en visualiser le fonctionnement, sans percevoir toutefois comment cela est réalisé techniquement.

Actuellement, la plupart des catalogues de bibliothèques ne présentent pas la possibilité de stocker ce type de données. C’est donc le second cas de figure qui est le plus fréquent, et c’est précisément celui pour lequel le risque de « perte » du contenu fourni par les bibliothécaires et leurs usagers est le plus grand ! En effet, les réseaux littéraires français qui proposent une offre à destination des bibliothèques se montrent intéressés non seulement par la  fourniture – contre paiement sous forme d’abonnement – du contenu mais aussi par la récupération des contributions des bibliothécaires et des utilisateurs du catalogue de la bibliothèque affiliée.

  • Un fournisseur propose un tarif d’abonnement dégressif en fonction du nombre de commentaires ajoutés en provenance de la « communauté » de la bibliothèque mais n’évoque pas dans sa convention les droits d’auteurs sur ces contributions. Ce fournisseur affirme par ailleurs que le droit reste à l’auteur mais reste assez vague ; or, plusieurs types de droit sont recouverts par l’expression « droits d’auteur » et il faudrait analyser quels droits reviennent à qui en fonction de l’absence ici de paragraphe spécifique dans la convention.
  • Un autre fournisseur garantit que les bibliothèques peuvent récupérer leurs contributions et celles de leurs usagers en cas de non reconduction de l’abonnement et ne renvoie pas ostensiblement l’usager de la bibliothèque vers leur site comme le fait le premier fournisseur évoqué (visant plus que probablement que nos membres deviennent aussi les leurs !). Les deux cas de figure possibles pour les bibliothèques (contenus externes déjà présents dans le catalogue ou non) auront probablement une incidence aussi sur la préservation de nos contenus (le second cas apparaissant plus favorable car on ne confie pas ses contenus propres au prestataire !).

Il existe des réseaux littéraires sociaux comme « nonfiction.fr » dont les notices (y compris les contributions de la communauté) sont sous licence « creative commons » (ou « copyleft ») ce qui les rend utilisables gratuitement par n’importe quelle personne ou organisation à but non commercial, protège l’intégrité du texte (qui peut néanmoins être coupé mais cela doit être explicitement indiqué) et garantit l’auteur que son nom doit impérativement être cité ;

Un « pot commun » des contributions des bibliothèques et de leurs communautés de lecteurs permettrait non seulement d’assurer que ces contenus produits par le secteur public reste public et aussi – même si chaque bibliothèque ou catalogue collectif continue à travailler par abonnement à un fournisseur – aux abonnés à un réseau d’accéder aux contributions de toutes les bibliothèques y compris celles qui sont abonnées à d’autres réseaux. Il faudrait alors permettre à chaque bibliothèque de récupérer ces contributions, que ce soit en les important directement dans son catalogue ou via un affichage à la volée.
Plusieurs bibliothèques et réseaux de bibliothèques français viennent de se lancer ou se lancent actuellement dans cette voie de l’abonnement à un réseau littéraire social (c’est également le souhait de la Communauté française de Belgique pour son portail de la lecture publique). Avant que le mouvement soit trop étendu, il apparaît important que les bibliothécaires réfléchissent ensemble à une solution qui permettrait d’éviter l’appropriation exclusive par des sociétés commerciales des contributions que les bibliothèques apportent et vont apporter, à la fois via leurs professionnels et via les usagers de leurs catalogues sur le Web.
Que faire ? peut-être penser à la voie de la licence « creative commons »… Mais sur quelle base de données bibliographiques s’appuyer ? Et qui financerait le développement ? Une réflexion commune entre bibliothécaires ne serait-elle pas nécessaire, pour compléter l’analyse et dégager des solutions…
Pour compléter on se reportera également à l’analyse chiffrée publiée sur le blog des bibliothèques 2.0
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