Adopte un auteur : échange critiques contre livres au profit de qui ?
Un nouveau site vient d’être lancé, découvert via le blog de Thierry Crouzet. Il souhaite être adopté ! C’est le principe de ce site :
L’idée est simple: les auteurs présents dans notre catalogue — édités ou auto-publiés, jeunes ou vétérans — proposent d’offrir gratuitement certains de leurs livres à tout lecteur qui en ferait la demande. En échange, le lecteur s’engage à rédiger une critique constructive — ou une chronique — sur son blog et/ou sur une librairie en ligne. Tout simplement.
Pour contacter un auteur et lui demander un livre, il suffit de se rendre sur sa fiche, et de remplir le formulaire.
Ça ressemble à un service de presse? Vous avez raison. Sauf que sur Adopte un Auteur, le libraire c’est vous.
Une règle simple: si un auteur vous offre son livre, vous devez le chroniquer: soit à travers votre blog, soit sur l’espace “commentaires” d’une librairie en ligne. Lorsque la chronique sera postée, vous pourrez recevoir un nouveau livre. Aucune obligation d’aimer: vous pouvez même détester. Mais vous devez faire partager votre lecture.
La référence à Adopte un mec joue sur la mise en relation… L’initiative a un côté assez ouvert et me semble assez séduisante 😉 . Il est proposé de laisser son commentaire d’au moins vingt mots sur :
un blog de chroniques littéraires ou être client de librairie en ligne comme Immateriel, Epagine, Kobo, Amazon, iBookStore, etc. Dans ce dernier cas, ils doivent disposer d’un compte client et être en mesure de poster une chronique ou une critique. Les lecteurs qui reçoivent un livre s’engagent à rédiger une chronique sur leur blog — ou un commentaire client d’au moins vingt mots sur une librairie en ligne.
Pourtant, on peut s’interroger sur l’absence totale de distinction entre les modes de publications des critiques. Est-ce bien équivalent de proposer sa critique à Amazon, de la mettre sur son blog ou sur un site de libraire en ligne? Il serait temps de bien comprendre que les critiques de livres ont une valeur économique très forte : les enjeux du livres numériques sont au moins autant dans le texte que le paratexte ! Les critiques/commentaires cumulées valent de l’or parce qu’elle enrichissent des intermédiaires qui s’appuient dessus de manière à exploiter la longue traîne. Et pour cause, Amazon vient de racheter le réseau social de lecteur Goodreads pour 150 millions de dollars. Marc JaJah a analysé finement les raisons d’un tel rachat :
Amazon s’appuyait par ailleurs jusque-là sur Shelfari pour éditorialiser automatiquement les livres numériques (les résumés, glossaires, index, etc. produits par les fans de Tolkien, par exemple, avaient été ajoutés au Hobbit). Or, GoodReads dispose d’un nombre sans doute plus important de telles productions. Ce qui intéresse Amazon, c’est la valeur éditoriale, énonciative, stratégique, économique du paratexte, soit l’ensemble des éléments (critiques, etc.) à la périphérie d’un livre (en plus des statistiques obtenues sur les lecteurs, évidemment). C’est ce qui permet, par exemple, de distinguer un même livre du domaine public, à la fois présent sur Google et sur Amazon.
On sait depuis longtemps que l’écrasante majorité des lecteurs ne commente pas les livres et qu’une infime minorité de lecteur-critiques est active (c’est valable pour l’ensemble du web participatif).
On sait également que 11 % des acheteurs de livres produisent à eux seuls 46 % de l’ensemble des recommandations de livres. Autrement dit : Amazon vient d’acquérir un moyen puissant de faire du « bouche à oreille ».
Si on peut partager l’objectif poursuivi par Adopte un auteur d’étendre les 11% énoncés ci-dessous, c’est un véritable choix politique de choisir à qui confier ses critiques. Pour Amazon, chaque critique ajoutée entre dans une stratégie en cours de déploiement qui augmente la force de l’écosystème Kindle qui verrouille déjà une bonne part des « prêts de livres numériques » dans bibliothèques des USA. L’enquête Idate sur le livre numérique donne l’ampleur du phénomène :
La plate-forme leader sur ce marché évolue rapidement, puisqu’elle comptait 400 000 titres fin 2010 et 700 000 fin 2011. Le nombre de personnes inscrites au service OverDrive a été multiplié par 2 en 2011 pour atteindre 11 millions d’utilisateurs dans le monde.
Comme Amazon et Overdrive sont partenaires, nuls doutes que les critiques des lecteurs sont partie intégrantes des services vendus aux bibliothèques. Ce mouvement de captation des données de médiation cette fois produites par des bibliothécaires est déjà activement mené par une société comme Libfly (propriété d’Archimed en situation dominante sur le marché des bibliothèques depuis le rachat d’Opsys). Libfly propose des abonnements aux bibliothèques leur permettant d’enrichir leur catalogues en paratexte, abonnements dégressifs en fonction du nombre de critiques postées dans Libfly par des bibliothécaires. Ce sont bien ces données et celles des lecteurs qui enrichissent la base revendue ensuite à d’autres bibliothèques… Les bibliothécaires ignorent souvent que les données de médiation, que le paratexte qu’il produisent entre dans le cadre de l’Open-content (contenus ouverts), selon L’article L.113-3-1 du CPI dispose que :
« Dans la mesure strictement nécessaire à l’accomplissement d’une mission de service public, le droit d’exploitation d’une oeuvre créée par un agent de l’Etat dans l’exercice de ses fonctions ou d’après les instructions reçues est, dès la création, cédé de plein droit à l’Etat. »
C’est donc bien à chaque collectivité territoriale de choisir sous quel régime elle place les données de médiation qu’elle produit. Pour Libfly, ce qui est critiquable est de revendre des données produites par des bibliothécaires à d’autres bibliothécaires là où il faudrait leur vendre un service tout en plaçant l’ensemble des données de médiation sous un régime ouvert et protecteur. L’approche par les biens communs de la connaissance à ceci de passionnant qu’elle nous force à ne jamais envisager des données ou des contenus en dehors de la communauté et des règles qu’elle se fixe pour les produire et/ou les céder.
Attention mon propos n’est pas de dire que toute captation marchande est critiquable, mais bien de rendre conscients les lecteurs et les bibliothécaires des choix qu’ils font en investissant du temps dans l’un ou l’autre des médias sociaux. Ce temps traduit en données valorisables produit une masse critique de données sur laquelle se reposent les écosystèmes exploitant l’économie de l’attention. Autrement dit, lisez les CGU ou lisez vos contrats !
Que ce soit dans les bibliothèques ou ailleurs je trouve assez critiquable qu’Adopte un Auteur ne fasse aucune distinction entre avoir son propre blog et maîtriser ses données et les confier à un tiers qui en dispose contractuellement. Il me semblerait plus sain de conseiller aux lecteurs/amateurs/critique de créer leur propres blogs ou de choisir un réseau social littéraire respectueux des droits des lecteurs, leur permettant par exemple un export de toutes leurs données en cas de changement de CGU ou de rachat.
Adopter oui, mais au profit de qui ?
D’une certaine manière, le modèle de Libfly est bien plus clair que d’autres : ils disent très bien quels commentaires les intéressent et comment ils les revendent. Ce n’est pas vraiment le cas de tous les autres…
Je ne sais pas si les critiques de livres ont une forte valeur économique en tant que tels. Il y a là beaucoup d’inconnues. Qui les produit (un inconnu ou pas, une autorité ou pas) ? Que dit la critique en tant que telle (positive ou négative, instructive ou concertantes ?) Comment est-elle rendue disponible (audience, modes de diffusion simple ou multiple, indexation…) ? Quels sont ses effets directs et indirects (sur la vente ou le prêt) ? Y’a-t-il des effets de seuils, d’isolement ou de masse ? … sont autant d’éléments qui entrent en jeu et qui dessinent une taxonomie qu’il faudrait établir et comparer à celles que Marc Jajah a établit pour les formes d’annotation par exemple. Toutes n’ont donc pas la même valeur.
La propriété de ces critiques est clairement posé bien sûr surtout face à toutes ces plateformes qui tentent de les accaparer. Leur agrégation et amassament prend bien sûr une autre valeur. Et cette valeur est croissante à mesure qu’elles se rapprochent de là où l’on vend ou prête le livre.
Effectivement, placer une critique sur Amazon, Goodreader, Libfly, Babelio, sur son blog ou sur un site de libraire en ligne n’a pas la même valeur, ni la même portée, ni les mêmes effets, ni la même incidence. Pour les bibliothèques et collectivités, il y a bien un choix à effectuer pour savoir sous quel régime, avec quelle portée, sous quelle forme (produite par qui ? un bibliothécaire sous son nom, l’institution ? sous quelle forme ? concertante, instructive… ?…) elle va diffuser les données de médiation qu’elle produit.
Mais l’enjeu n’est pas qu’un enjeu de propriété. Il est aussi un enjeu de service. Une critique isolée ne produit pas d’effet au-delà de son propre lectorat (qui est le plus souvent limité). Une critique dans un site social de lecteur produit par agrégation d’autres effets permettant de dégager par exemple des moyennes d’appréciation des livres pour faire ses propres choix. Une critique sur un site de vente va permettre d’être présent là où les gens sont en repérage. Les classements par critiques et évaluation changent également la donne. Pour ma part, je me désole toujours de vois tant de librairies en ligne – grosses comme petites – sans avis sur de très bons livres et avec 40 avis sur de mauvais livres, je me désole toujours quand je vois des bibliothécaires produire de très bonnes critiques (oui oui, c’est rare, mais ça arrive : il n’y a pas que des coups de coeur non motivés ou des dossiers documentaires sans valeur ajoutés 😉 perdue dans un SIGB. Je crois que cela montre que la règle autour de la critique de livre ne peut peut-être pas être unique et uniquement politique. Certains très bons livres ont besoin d’être défendus partout (et le fait qu’ils ne soient pas défendus à certains endroits les tues).
Reste que tu as raison bien sûr. Les bibliothèques devraient produire leurs propres services de critiques de livres à leurs conditions… Elles le font de manière isolé et non concerté. N’ont pas d’attention particulière à l’utilisation et l’exploitation qu’elles pourraient en faire. Bref, n’ont pas de stratégies et la plupart du temps ni de politiques individuelles ou communes de diffusion comme d’éditorialisation. C’est bien dommage. Effectivement, le concept de bien communs de la connaissance permet de réinterroger l’absence de stratégie et de politique, pour autant qu’il n’enferme pas dans une posture.
Oui, les bibliothèques doivent comprendre l’importance de la critique. Je crois plus que jamais que c’est leur rôle de nous aider à nous repérer dans la masse de ce qui nous entoure. Oui, ils doivent se doter de stratégies, mais j’espère que celles-ci ne reposeront pas seulement sur la propriété, sur les règles qu’elle se fixe pour les produire et les céder.
alors je ne peux en dire plus sur cet espace privessionnel mais la mutualisation nous y réfléchissons activement 🙂
PS : tu n’as pas fait de lien vers le site dont tu parles Silvère. 😉
oups la boulette!
Merci c’est réparé ! 😉
Tu oublies un truc, c’est que 99% des textes n’ont aucune valeur marchande donc pas plus les commentaires assoiés. Donc tu as ta réponses adopte un auteur pour lui donner envie d’écrire un autre texte et c’est déjà pas mal, donc commenter pour soi.
Adopte un auteur : échange critiques contre livres au profit de qui ? –
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