L’idée est simple: les auteurs présents dans notre catalogue — édités ou auto-publiés, jeunes ou vétérans — proposent d’offrir gratuitement certains de leurs livres à tout lecteur qui en ferait la demande. En échange, le lecteur s’engage à rédiger une critique constructive — ou une chronique — sur son blog et/ou sur une librairie en ligne. Tout simplement.
Pour contacter un auteur et lui demander un livre, il suffit de se rendre sur sa fiche, et de remplir le formulaire.
Ça ressemble à un service de presse? Vous avez raison. Sauf que sur Adopte un Auteur, le libraire c’est vous.
Une règle simple: si un auteur vous offre son livre, vous devez le chroniquer: soit à travers votre blog, soit sur l’espace “commentaires” d’une librairie en ligne. Lorsque la chronique sera postée, vous pourrez recevoir un nouveau livre. Aucune obligation d’aimer: vous pouvez même détester. Mais vous devez faire partager votre lecture.
La référence à Adopte un mec joue sur la mise en relation… L’initiative a un côté assez ouvert et me semble assez séduisante 😉 . Il est proposé de laisser son commentaire d’au moins vingt mots sur :
un blog de chroniques littéraires ou être client de librairie en ligne comme Immateriel, Epagine, Kobo, Amazon, iBookStore, etc. Dans ce dernier cas, ils doivent disposer d’un compte client et être en mesure de poster une chronique ou une critique. Les lecteurs qui reçoivent un livre s’engagent à rédiger une chronique sur leur blog — ou un commentaire client d’au moins vingt mots sur une librairie en ligne.
Pourtant, on peut s’interroger sur l’absence totale de distinction entre les modes de publications des critiques. Est-ce bien équivalent de proposer sa critique à Amazon, de la mettre sur son blog ou sur un site de libraire en ligne? Il serait temps de bien comprendre que les critiques de livres ont une valeur économique très forte : les enjeux du livres numériques sont au moins autant dans le texte que le paratexte ! Les critiques/commentaires cumulées valent de l’or parce qu’elle enrichissent des intermédiaires qui s’appuient dessus de manière à exploiter la longue traîne. Et pour cause, Amazon vient de racheter le réseau social de lecteur Goodreads pour 150 millions de dollars. Marc JaJah a analysé finement les raisons d’un tel rachat :
Amazon s’appuyait par ailleurs jusque-là sur Shelfari pour éditorialiser automatiquement les livres numériques (les résumés, glossaires, index, etc. produits par les fans de Tolkien, par exemple, avaient été ajoutés au Hobbit). Or, GoodReads dispose d’un nombre sans doute plus important de telles productions. Ce qui intéresse Amazon, c’est la valeur éditoriale, énonciative, stratégique, économique du paratexte, soit l’ensemble des éléments (critiques, etc.) à la périphérie d’un livre (en plus des statistiques obtenues sur les lecteurs, évidemment). C’est ce qui permet, par exemple, de distinguer un même livre du domaine public, à la fois présent sur Google et sur Amazon.
On sait depuis longtemps que l’écrasante majorité des lecteurs ne commente pas les livres et qu’une infime minorité de lecteur-critiques est active (c’est valable pour l’ensemble du web participatif).
On sait également que 11 % des acheteurs de livres produisent à eux seuls 46 % de l’ensemble des recommandations de livres. Autrement dit : Amazon vient d’acquérir un moyen puissant de faire du « bouche à oreille ».
Si on peut partager l’objectif poursuivi par Adopte un auteur d’étendre les 11% énoncés ci-dessous, c’est un véritable choix politique de choisir à qui confier ses critiques. Pour Amazon, chaque critique ajoutée entre dans une stratégie en cours de déploiement qui augmente la force de l’écosystème Kindle qui verrouille déjà une bonne part des « prêts de livres numériques » dans bibliothèques des USA. L’enquête Idate sur le livre numérique donne l’ampleur du phénomène :
La plate-forme leader sur ce marché évolue rapidement, puisqu’elle comptait 400 000 titres fin 2010 et 700 000 fin 2011. Le nombre de personnes inscrites au service OverDrive a été multiplié par 2 en 2011 pour atteindre 11 millions d’utilisateurs dans le monde.
Comme Amazon et Overdrive sont partenaires, nuls doutes que les critiques des lecteurs sont partie intégrantes des services vendus aux bibliothèques. Ce mouvement de captation des données de médiation cette fois produites par des bibliothécaires est déjà activement mené par une société comme Libfly (propriété d’Archimed en situation dominante sur le marché des bibliothèques depuis le rachat d’Opsys). Libfly propose des abonnements aux bibliothèques leur permettant d’enrichir leur catalogues en paratexte, abonnements dégressifs en fonction du nombre de critiques postées dans Libfly par des bibliothécaires. Ce sont bien ces données et celles des lecteurs qui enrichissent la base revendue ensuite à d’autres bibliothèques… Les bibliothécaires ignorent souvent que les données de médiation, que le paratexte qu’il produisent entre dans le cadre de l’Open-content (contenus ouverts), selon L’article L.113-3-1 du CPI dispose que :
« Dans la mesure strictement nécessaire à l’accomplissement d’une mission de service public, le droit d’exploitation d’une oeuvre créée par un agent de l’Etat dans l’exercice de ses fonctions ou d’après les instructions reçues est, dès la création, cédé de plein droit à l’Etat. »
C’est donc bien à chaque collectivité territoriale de choisir sous quel régime elle place les données de médiation qu’elle produit. Pour Libfly, ce qui est critiquable est de revendre des données produites par des bibliothécaires à d’autres bibliothécaires là où il faudrait leur vendre un service tout en plaçant l’ensemble des données de médiation sous un régime ouvert et protecteur. L’approche par les biens communs de la connaissance à ceci de passionnant qu’elle nous force à ne jamais envisager des données ou des contenus en dehors de la communauté et des règles qu’elle se fixe pour les produire et/ou les céder.
Attention mon propos n’est pas de dire que toute captation marchande est critiquable, mais bien de rendre conscients les lecteurs et les bibliothécaires des choix qu’ils font en investissant du temps dans l’un ou l’autre des médias sociaux. Ce temps traduit en données valorisables produit une masse critique de données sur laquelle se reposent les écosystèmes exploitant l’économie de l’attention. Autrement dit, lisez les CGU ou lisez vos contrats !
Que ce soit dans les bibliothèques ou ailleurs je trouve assez critiquable qu’Adopte un Auteur ne fasse aucune distinction entre avoir son propre blog et maîtriser ses données et les confier à un tiers qui en dispose contractuellement. Il me semblerait plus sain de conseiller aux lecteurs/amateurs/critique de créer leur propres blogs ou de choisir un réseau social littéraire respectueux des droits des lecteurs, leur permettant par exemple un export de toutes leurs données en cas de changement de CGU ou de rachat.
Adopter oui, mais au profit de qui ?