Rapport Lescure : du positif pour le livre numérique en bibliothèque

Le rapport Lescure sur l’Acte 2 de l’exception culturelle est paru il y a quelques semaines déjà. Comme prévu, les débats se sont focalisés sur l’Hadopi et le CSA. Sur l’ensemble d’un rapport comportant plus de 80 propositions en 2 tomes et plus de 900 pages, il y a de quoi commenter et aller un peu plus loin. Je m’associe pleinement à l’analyse proposée par SavoirsCom1. Ce rapport contient des éléments très critiquables et d’autres très positifs !

J’aimerai mettre en avant certains points positifs qui n’ont pas été soulignés, notamment ceux autour du livre numérique et des bibliothèques. Comme l’IABD (Interassociation Archives Bibliothèques Documentation) dans son communiqué, il faut souligner l’objectif proposé par la mission : « que soient posés les termes techniques, juridiques et économiques d’une coexistence harmonieuse entre l’offre marchande et l’offre en bibliothèque, respectueuse de la place de chacun des maillons de la chaîne (créateurs, éditeurs et producteurs, commerces culturels, bibliothèques) ». Une coexistence harmonieuse, on en est loin ! Pour autant parler de « chaîne du livre » c’est nier volontairement qu’une large part de l’économie du Livre s’organise en écosystème.

En revanche je partage la nécessité affirmée de disposer de la part des fournisseurs d’une « offre claire, transparente et non discriminatoire spécifique en direction des bibliothèques ». Elle s’exprime dans la proposition 23 :

Inciter les éditeurs à mettre en place, sur une base volontaire, une gestion collective des usages numériques en bibliothèque. A défaut, ouvrir une réflexion à l’échelle communautaire, en vue d’une éventuelle révision des directives 2001/29 et 2006/115.

On peut quand même se féliciter que l’importance des usages collectifs soit reconnue. Une gestion collective semble seule à même de garantir les droits des lecteurs et une juste rémunération des ayant-droit. L’ambition d’une révision du cadre européen semble en effet plus complexe à mettre en oeuvre. La proposition est bien entendu à double tranchant, le diable de la gestion collective est toujours dans les détails : les modes de répartition et la gouvernance. Une seule chose me semble certaine : ne pas passer par une gestion collective est l’assurance d’être dépendant à terme quand l’offre sera développée d’un seul acteur dominant sans en maîtriser aucun des aspects. En l’absence de cadre interprofessionnel où les bibliothèques auraient une influence, je pense que ce risque est très grand.

Je trouve que la Proposition 24 est très réjouissante !

Encourager le développement d’offres en bibliothèque reposant sur un contrôle d’accès à l’abonnement et sur des DRM de type “tatouage numérique” et modifier la loi sur le prix unique du livre numérique pour obliger les éditeurs à proposer une offre claire, transparente et non discriminatoire spécifique en direction des bibliothèques.

Elle reconnait et cherche à répondre à deux des impasses du livre numérique en bibliothèque. D’une part la tendance du « prêt numérique » à devenir dominant au détriment d’un contrôle d’accès à l’abonnement dans lequel les usages sont sécurisés, moins contraints et économiquement soutenables. Je m’étais déjà longuement exprimé sur le sujet dans ce billet. Cette proposition est tous points cohérente avec les recommandations sur le livre numérique en bibliothèque adoptée par CAREL.

D’autre part, la modification de la loi sur le prix unique dans le sens d’obligations d’offres “claire, transparente et non discriminatoire” est nécessaire à la prise en compte des besoins des bibliothèques. Cette mesure prend tout son sens à l’heure où les bibliothèques sont reconnues comme des tiers-lieux et où l’exception culturelle française doit être réaffirmée. Elle s’inscrit dans un contexte où un certain nombre d’éditeurs craignent que le tiers secteur ne fasse concurrence au secteur marchand et refusent de proposer dans les bibliothèques une offre équivalente à celle proposée dans un cadre de relation marchande avec des consommateurs. Rappelons que la Loi PULN comprend une clause annuelle de bilan sur ses impacts. L’article est assez clair :

Ce rapport vérifie notamment si l’application d’un prix fixe au commerce du livre numérique profite au lecteur en suscitant le développement d’une offre légale abondante, diversifiée et attractive, et favorise une rémunération juste et équitable de la création et des auteurs, permettant d’atteindre l’objectif de diversité culturelle poursuivi par la présente loi.

L’année est passée sans que cette clause légale soit appliquée ! Ne serait-il pas temps de faire le point sur la situation ? Certains échos montrent que les éditeurs refusent systématiquement de vendre les livres numériques sans DRM aux bibliothèques, la faute au modèle de prêt numérique ! Aura-t-on demain une double peine ? Une offre mutilée vendue à l’acte avec des DRM chronodégradables ? On en prend pourtant le chemin.

Proposition 25 : Inscrire dans les dispositifs d’aide publique une incitation au développement de l’offre numérique en bibliothèque.

Là encore on peut se féliciter de cette mesure. Il est essentiel que les ressources publiques destinée par exemple à soutenir la numérisation ou la diffusion commerciale de livres numériques prennent systématiquement en compte les besoins des bibliothèques sans se cantonner à la vente directe aux consommateurs. Il semble en effet normal que les bibliothèques soient mieux prises en compte par l’organisme interprofessionnel qu’est le CNL.

Proposition 79 : Créer, sous l’égide des organismes gestionnaires du dépôt légal, et en partenariat avec les sociétés de gestion collective et les organisations professionnelles, des registres ouverts de métadonnées. Lancer une étude de faisabilité et proposer aux parties prenantes une démarche en deux temps : 1) Création d’un portail d’identification des œuvres et des ayants droit ; 2) Élaboration de mécanismes d’octroi simplifié d’autorisation.

Proposition 80 : Conditionner toute aide publique à la production et à la numérisation à la fourniture des métadonnées respectant le format proposé par le gestionnaire du registre.

Là encore, ces propositions vont dans le bon sens : des registres ouverts de métadonnées sont absolument nécessaires à une réforme en profondeur du droit d’auteur. Il est sous entendu ici qu’on ne parle pas des œuvres commercialisées seulement mais aussi des contenus du web. Voilà qui va dans le sens des propositions pour une réforme pour le droit d’auteur et des politiques culturelles liées auxquelles j’avais participé.

Le rapport Lescure, un rapport de plus rangé dans un tiroir ? Il ne tient qu’à nous de porter ces propositions auprès des pouvoirs publics.

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