L’Enssib annonce que la commission Bibliothèques numériques de l’Inspection générale des bibliothèques vient de publier le bilan de ses activités en 2012-2013. On y trouve des éléments assez intéressants sur la notion de prêt numérique et l’expérimentation PNB (Prêt Numérique en Bibliothèque) menée par Dilicom et ses partenaires. La commission dirigée par Pierre Carbone se montre assez critique à l’égard de PNB et plus largement du prêt numérique et des DRM. Elle appelle à un dépôt légal du livre numérique, met en avant le rôle des métadonnées et recommande une veille sur les modèles alternatifs au prêt numérique.
Je ne peux que me réjouir de ces recommandations ayant moi-même critiqué à plusieurs reprises le modèle d’accès du prêt numérique en expliquant que des alternatives existent et sont plus respectueuses des droits des lecteurs.
Les métadonnées culturelles et les données de médiation sont essentielles et c’est une évidence, j’avais abordé ce sujet dans ce billet.
Il faut rappeler que l’avis de la commission est cohérent avec les recommandations de la mission Lescure qui elle aussi se montrait très prudente sur le prêt numérique et les DRM.
L’association CAREL a par ailleurs publié un avis sur PNB qui soulève un certain nombre de points de vigilance et de critique.
Les bibliothécaires via CAREL ont enfin collectivement exprimé des recommandations. Combien faudra-t-il encore d’avis d’experts pour que la situation du livre numérique en bibliothèque évolue en France vers autre chose que du prêt numérique ou du streaming ultra-restrictif?
Je partage les recommandations exprimées par la commission Carbone (à laquelle je n’ai pas participé directement même si la Bpi y a été auditionnée parmi d’autres) et je cite ci-dessous in extenso le passage sur PNB et les recommandations associées, le gras sur certains passage est de moi. Vous noterez que le modèle cité en exemple par « un éditeur » qui n’est pas identifié est absolument catastrophique pour les lecteurs et les bibliothécaires du point de vue des usages comme de la gestion.
Comment articuler marchés publics et politique documentaire ? Les bibliothèques ont des difficultés à trouver un prestataire, et la concurrence est insuffisamment développée. La librairie a un rôle à jouer : la bibliothèque pourrait passer le marché avec le libraire, plutôt qu’avec le distributeur.
C’est précisément la raison d’être du projet de prêt numérique en bibliothèque (PNB) mis en œuvre par Dilicom et qui rassemble plusieurs grands éditeurs, des libraires, des prestataires informatiques et des bibliothèques. Depuis 2010, Dilicom souhaite accompagner l’évolution du marché de la lecture, notamment en répliquant son modèle pour les imprimés au numérique. Le principe du fonctionnement est le suivant : les offres des éditeurs sont intégrées au fichier exhaustif du livre (FEL) et diffusées aux libraires, qui présentent ces offres aux bibliothèques ; les bibliothèques achètent via le libraire, qui, lui, passe commande via le hub Dilicom ; enfin, les bibliothèques proposent leurs acquisitions aux lecteurs (voire l’intégralité de l’offre afin de stimuler les suggestions d’achat). Le hub Dilicom ne transmet que les métadonnées de gestion (informations relatives au titre, à son format, à son poids en kilo-octets).
L’hébergement des fichiers est assuré par les distributeurs ; le hub archive les transactions entre librairies et bibliothèques, et assure la pérennité des accès aux fichiers acquis. La description des offres sera uniformisée de manière à la rendre lisible.
Un déploiement expérimental de la plateforme PNB est attendu pour fin 2013. Des binômes librairies/bibliothèques ont été constitués pour cette phase-pilote. Des questions techniques doivent être réglées au préalable: soit Dilicom fournit les interfaces de programmation
– API – (une documentation technique a été rédigée) et la bibliothèque les implémente ; soit c’est le système informatique de gestion de la bibliothèque qui gère l’accès à la plateforme. Le plan librairie de la Ministre de la Culture évoque le défi à relever concernant la chaîne du livre : PNB
peut y contribuer. A ce titre, c’est un projet suivi par le SLL, qui souhaite que les bibliothèques numériques de référence s’impliquent dans l’expérimentation (parmi celles-ci, la bibliothèque de Grenoble est actuellement partenaire). Une démonstration de la plateforme est attendue au congrès IFLA 2014 ; la rédaction d’un mémorandum interprofessionnel sur la diffusion du livre numérique en bibliothèque publique sera aussi entreprise en fin d’année.
La plupart des éditeurs se sont engagés à donner accès à l’intégralité de leur catalogue numérique, y compris aux nouveautés. Ils n’ont pas encore défini leurs offres respectives, mais on peut s’attendre à une pluralité de modèles. Un éditeur propose le modèle suivant pour les collectivités :
– le livre numérique est vendu au prix du livre broché ;
– l’achat d’un exemplaire permet 50 prêts en téléchargement, simultanés ou successifs ;
– la licence est accordée pour une durée d’1 ou 2 ans maximum;
– une commande correspond à l’achat d’un exemplaire ;
– les fichiers sont sous DRM.
Le hub Dilicom est une amélioration par rapport aux dispositifs actuellement accessibles aux bibliothèques. Mais le projet, qui prend en compte les exigences d’achat, devrait prendre plus en considération les finalités d’usages des bibliothèques. Il convient d’aller vers une harmonisation de l’offre des éditeurs et des modes de mise à disposition, dans le respect du droit de la concurrence, et de concevoir un outil fluide, qui soit utile aux bibliothèques et facile pour les libraires. Il faut aussi considérer les métadonnées, notamment culturelles (enrichissement par Electre ? par la BnF ? par les bibliothèques ?), et faciliter l’intégration des données dans les catalogues ou les bases de connaissance des bibliothèques. Par ailleurs, les libraires devraient logiquement être amenés à apporter une réelle valeur ajoutée, et à développer sous forme numérique une activité de médiation ou de valorisation des contenus encore peu assurée. Quant aux éditeurs, ils sont à la recherche de modèles économiques conciliant le marché des bibliothèques (et le prêt en bibliothèque) avec le marché des acheteurs individuels. On peut toutefois s’attendre à une autorégulation : certains modèles économiques disparaîtront d’eux-mêmes. Les bibliothèques ont aussi des attentes différentes. Il s’agit d’un marché émergent, pour lequel on ne fera pas l’économie de la complexité. Seuls les usages tels qu’observés au cours du temps permettront de simplifier l’offre.
Le coût global du projet et le mode de financement posent question : ce sont aux collectivités et aux libraires de financer les besoins de développement pour participer à l’expérimentation. Mais les bibliothèques peuvent solliciter l’Etat par le biais du concours particulier de la dotation globale de décentralisation.
Un des grands avantages de PNB, c’est l’assurance de la pérennité des données (si la bibliothèque change de libraire, elle garde ses accès). La question se pose, en revanche, de la pérennisation des contenus qui, eux, restent chez les éditeurs.
Mais le prêt numérique en bibliothèques ne doit pas être le seul modèle soutenu etdéveloppé. Des initiatives à la Deezer, ou à la Youboox, ou des modèles permettant de faciliter l’accès des usagers aux livres numériques, mériteraient d’être étudiés.
Dans le cadre du projet PNB, la commission souligne :
– la nécessité de prendre en compte les besoins de tous les éléments de l’écosystème (bibliothécaires et surtout usagers compris) ;
– la nécessité de constituer une offre regroupée de l’ensemble des éditeurs au sein du hub ;
– l’importance du rôle de tiers de confiance
– l’importance du rôle des métadonnées de gestion mais aussi des métadonnées culturelles
Elle recommande de
1. Créer une base de connaissance réunissant les données de gestion rassemblées ou produites par le BnF
2. Mettre en oeuvre le dépôt légal du livre numérique afin de préserver les fichiers et leur contenu
3. Assurer une veille sur les modèles alternatifs au prêt numérique en bibliothèque
4. Dresser une évaluation des coûts et de l’impact du projet PNB deux ans après l’expérimentation
Je vais conclure ce billet par deux questions :
Comment faire pour convaincre les pouvoirs publics que l’accès à la connaissance via les contenus sous-droit et l’inclusion numérique si bien décrite par le rapport du Conseil National du Numérique sont des enjeux majeurs qui doivent faire l’objet de politique publiques volontaristes?
Comment convaincre les éditeurs que le secteur non-marchand n’est ni une menace ni une source de piratage mais qu’il est au contraire une chance pour l’expérimentation et le développement économique de la filière?