La curation : du lien hypertexte au lien embarqué
A mon sens une des compétences clés de la littératie numérique est savoir sélectionner, lier, citer et commenter. Les médias sociaux s’appuient énormément sur le partage de liens commentés. Twitter avec les twitter cards, et pour un lien inséré dans Facebook, les métadonnées associées sont automatiquement récupérées : titre + image + descriptif. Par exemple :
Enjeux des liens embarqués
Les développeurs de WordPress, logiciel libre utilisé par 25% des sites web rappelons-le, ont perçu cette difficulté puisque la nouvelle version 4.4 qui est sortie le 8 décembre 2015 permet d’embarquer un extrait de billet dans un autre billet. Voici un exemple de ce que ça donne avec cet article qui explique très bien avantages et inconvénients de cette nouvelle fonctionnalité :
C’est un changement important parce que cette fonctionnalité est intégrée dans le coeur du code de WordPress, sans qu’il faille ajouter un plugin pour utiliser la fonctionnalité. Autrement dit, tous les sites sous WordPress qui seront mis à jour avec cette version auront cette fonctionnalité par défaut (même si elle pourra être désactivée).
Pour des raisons de sécurité informatique une liste blanche assez large indique les sites qui acceptent que leurs liens soient embarqués.
Tous les thèmes wordpress ne permettent pas encore d’afficher les liens embarqués. Heureusement, il existe un excellent plugin qui s’appelle Content Card et qui permet d’insérer sous forme de « card » les liens issu des mêmes sources. Le plugin ajoute un bouton au sein de l’éditeur de texte de wordpress et un clic sur ce bouton fait apparaître la fenêtre suivante :
Ce plugin est assez génial, il va récupérer les métadonnées associées à n’importe quel lien, par exemple pour un tweet il suffit de prendre le lien et d’utiliser le plugin depuis le bouton qui s’ajoute sur l’éditeur de texte pour avoir ceci :
Si on embarque un lien vers une vidéo, la vidéo n’est pas embarquée, elle n’est pas lisible depuis ce blog, mais il faut se rendre sur le site source, exemple :
Si la pratique se généralise, il est même possible qu’elle change la manière d’écrire sur le web, les liens classiques continueront sans doute à exister, mais pourquoi perdre du temps à illustrer un lien pour le mettre en avant quand on peut l’embarquer et utiliser l’image qui lui est associée? Nul doute que des questions juridiques se poseront, et d’ailleurs se posent déjà avec ce jugement aux USA qui considère (abusivement) que l’intégration d’un lien dans Storify nécessite l’accord de son auteur, sous prétexte de l’affichage de la vignette! Rappelons qu’un des socles du web est la liberté de faire des liens. Si celle-ci subit des enclosures, c’est tout l’écosystème qui est en danger. C’est une des raisons pour lesquelles il faut être vigilant! Voici donc un Storify embarqué sur la difficulté juridique d’embarquer des liens dans un Storify, vous suivez? (cela permet d’ailleurs de voir qu’un lien embarqué sans image associée est assez moche!)
Preuve que les liens embarqués sont en plein essor, il existe une start-up américaine appelée Embed.ly qui permet d’embarquer n’importe quel contenu :
Le problème, c’est que le modèle tarifaire est construit selon le nombre d’url embarquées et selon le nombre de requêtes sur ces url. C’est comme pour le prêt numérique de PNB : plus on clique et plus ça coûte cher… De plus, cela revient à rien de moins qu’à faire dépendre l’ensemble de vos liens d’un service tiers dont nul ne connaît la pérennité. Ce type de pratique visant à privatiser le lien hypertexte en passant par un tiers me semble une tendance à fuir. Mieux vaut miser sur les logiciels libres comme WordPress et embarquer nativement le lien dans le CMS. Bien sûr si le site source n’est plus accessible, votre lien sera brisé, ce sera juste plus visible que pour les liens hypertexte traditionnels. Je pense même que depuis le changement apporté par cette version, je vais progressivement abandonner Storify pour revenir vers des sélections natives dans WordPress.
Pourquoi est-ce important pour les bibliothèques?
Je l’ai souvent dit ici, les bibliothécaires sont particulièrement bien placés pour faire des recommandations et pratiquer l’art de la sélection commentée. Nous sommes souvent perçus comme indépendants et cultivés, ce qui est vrai, nous devons donc être des recommandeurs actifs! Les listes commentées sont des dispositifs de médiation particulièrement efficaces pour se repérer dans les contenus culturels. Une sélection de liens hypertextes sans image, même commentée a une affordance très faible, personne n’a envie de la consulter alors qu’elle peut-être très pertinente! La sélection prend tout son sens lorsqu’elle est illustrée et composée de liens embarqués. Une sélection ce n’est finalement rien d’autre qu’un titre, un descriptif et un ensemble de liens augmentés de leurs métadonnées, embarqués ET commentés.
On peut dire que la sélection est un dispositif au coeur d’une démarche de médiation numérique. Par exemple, le site SensCritique regorge de sélections permettant de trier les œuvres pour construire un jugement de goût ou tout simplement appréhender rapidement un domaine documentaire. Quels sont les bonnes séries à voir en ce moment? Quels sont les meilleurs albums jeunesses de l’année 2015? Regardez par exemple le top des listes de SensCritique. J’ai toujours beaucoup aimé l’usage de la notion d’Éclaireur sur ce site. Et si les bibliothécaires étaient eux-mêmes des éclaireurs et/ou en facilitaient l’émergence?
Voici quelques sélections que j’aime bien :
Rien de tel que les sélections à condition qu’elles s’appellent autrement que « les coups de coeur des bibliothécaires« … Le titre de la sélection et le fait qu’elle soit affordante et commentée, qu’elle permette d’appréhender une valeur ajoutée est particulièrement important. C’est ce qui distingue un dispositif de médiation numérique d’une étagère virtuelle dans un catalogue de bibliothèque, même illustrée des couvertures de documents, la plupart du temps mal titrée et sans commentaires pertinents. De plus en plus de liens embarqués, c’est à mon sens une très bonne nouvelle, mais tout dépend de la manière dont ces liens sont conçus… s’il est nécessaire de passer par des tiers, c’est une tendance dangereuse. Si au contraire les développeurs du libre s’en emparent alors ne nous privons pas! Si votre bibliothèque a un blog thématique qui utilise wordpress, il devient possible de faire de belles listes de liens commentées sans passer par Storify ou un plugin dédié ou un autre service tiers. Voilà pourquoi il me semblait important de vous signaler l’importance des sélections de liens embarqués dans une démarche de médiation numérique.