Livre numérique : cette fois c’est parti et ça va saigner

Cette fois c’est parti, comme l’explique Hervé Bienvault qui commente l’interview du Pdg d’Hachette dans le Nouvel Obs :

Avec l’entrée aujourd’hui du catalogue Hachette sur l’iBookStore d’Apple, Hachette exclut le schéma de rester maître de ses propres fichiers, les déversant massivement sur la plateforme d’Apple. Le modèle déporté est abandonné concernant Apple, on voit mal comment il pourrait en être différemment pour Amazon dans les prochains mois. Ce que Sony (on se rappelle qu’Hachette avait initié l’offre avec la Fnac il y a deux ans) et Amazon (qui faisait le siège des éditeurs depuis aussi longtemps) n’avaient pas pu imposer, Apple a bien réussi à le faire en quelques mois de négociation avec un guichet unique d’entrée. Ne va t’on pas assister à un marché à deux vitesses, les fichiers chez les géants américains qui assureront un service-client optimum (authentification, paiement, livraison) sur leurs propres lecteurs et un marché de deuxième zone avec des libraires qui devront se débrouiller avec les plateformes, les hubs, les DRM et les SAV clients qui en découlent?

Hachette est le premier éditeur français à se lancer, nul doute que les autres vont suivre, l’Ipad est lancé, le marché est sur le point de naître. M. Nourry a obtenu ce qu’il évoquait en mars dernier, lors du salon du Livre : un contrat de mandat permettant à l’éditeur de conserver sa politique tarifaire. Alors hop on y va, partout où c’est possible ! En réponse à l’interrogation ci-dessus, je pense que le marché à double vitesse ne fonctionnera pas. Ce qui fonctionnera, ce sont des communautés de niches, des audiences qualifiées d’amateurs, sans intermédiaires. Pourquoi ? Citation du blog Mon Iphone m’a tuer

Gallimard, Nourry et compagnie raisonnent dans le domaine numérique comme ils raisonnaient dans le domaine papier : la concentration de l’édition industrielle, les moyens importants de production, de diffusion et de promotion y permettaient une politique arrogante de l’offre. L’auteur se mettait à genoux pour obtenir un contrat léonin lui concédant 8 % de droits en moyenne, pour huit semaines d’espérance de vie en librairie (et en moyenne aussi). Le lecteur devait accepter les prix des étals de libraire, où 80 % des titres provenaient de 20 % des producteurs. Tout cela était vanté comme un modèle de diversité, de qualité et d’équité… par ceux qui avaient intérêt à entretenir cette légende. Le livre numérique change la donne. Les contrats directs de diffusion proposés aux auteurs par Apple, Amazon et autres distributeurs accordent 70 % de royalties sur les ventes, soit huit fois plus que le contrat d’éditeur standard dans le monde papier. De surcroît, comme les éditeurs français développent des usines à gaz en diffusion, ils ne garantissent même pas à leurs auteurs d’être présents sur toutes les grandes plateformes existantes ou à venir dans l’année, dont celle de Google en procès avec plusieurs d’entre eux.

Apple, Amazon et Google proposeront des modalités d’affiliation efficaces et disséminées à ces communautés ce qui laissera quelques miettes a des gros sites comme fnac.com et cie, avant que les DRM sautent pour qu’elles aient un peu d’air. Ah oui, j’oubliais, dans quelques mois le piratage va exploser, encouragé par un prix unique du livre homothétique suicidaire.

Plutôt que de donner votre précieux temps de cerveau à lire la prose communicationnelle de M. Nourry, je vous conseille cet excellent décryptage sur le blog Mon iphone m’a tuer. Brosser les libraires dans le sens du poil revient en effet à ce que décrit l’auteur :

C’est un peu comme si l’on prétendait en 2000 que le disquaire est indispensable pour aider le client à choisir dans l’offre pléthorique de musique. Ou que le magasin de vidéo en DVD sera irremplaçable pour aider le pauvre spectateur face à l’abondance de la VOD. Matériellement, le libraire est incapable de lire les 60.000 nouveautés annuelles (ou 600.000 livres disponibles), ce qui rend la valeur de son conseil très relative. Ce n’est pas le cas de la communauté des internautes prise dans son ensemble : celle-ci peut et pourra au contraire produire des commentaires, des conseils et des critiques sur tous les livres, même les plus confidentiels. C’est une des conséquences très intéressantes de la révolution numérique du livre : les lecteurs prennent la parole, se libèrent des « experts » ou des « intermédiaires », permettent éventuellement de faire connaître des auteurs n’ayant pas le chance de plaire aux médias centraux (ou… aux libraires).

Et la conclusion, cinglante et tellement vraie :

Conclusion : Nourry comme Gallimard n’ont pas un mot pour le lecteur, et à peine un demi pour l’auteur, qui sont pourtant l’alpha et l’omega de l’édition. La « chaîne du livre » mérite son nom : si elle n’a d’autre discours que la défense de ses profits parasites, elle doit être brisée.

Je constate, j’observe comme d’autres. Il y a un côté très excitant à tout ça parce plein d’innovations (comme celle-ci) vont arriver et un côté triste aussi. Ce qui est clair, c’est que ça va saigner !

Nul doute que les autres éditeurs vont suivre, l’Ipad est lancé, le marché est sur le point de naître.

Silvae

Je suis chargé de la médiation et des innovations numériques à la Bibliothèque Publique d’Information – Centre Pompidou à Paris. Bibliothécaire engagé pour la libre dissémination des savoirs, je suis co-fondateur du collectif SavoirsCom1 – Politiques des Biens communs de la connaissance. Formateur sur les impacts du numériques dans le secteur culturel Les billets que j'écris et ma veille n'engagent en rien mon employeur, sauf précision explicite.

4 réponses

  1. JM Salaun dit :

    Bonjour Sylvère,
     
    M. Nourry ne me semble pas avoir fait volte-face, mais au contraire appliquer ce qu’il annonçait.
    Oui les libraires ont du souci à se faire, mais c’était écrit. Oui les DRM sauteront lorsque les places seront définitivement prises par les nouveaux entrants.
    Mais, concernant la prise de pouvoir par les auteurs et les lecteurs, j’ai peur que vous vous fassiez quelques illusions. La structure et l’histoire de l’industrie de l’industrie de la musique n’est en rien comparable à celle du livre.

  2. BS dit :

    « Oui les DRM sauteront lorsque les places seront définitivement prises par les nouveaux entrants. »
    Je lance les paris que non ! Qui veut jouer à ce jeu ?
    Bibliosurf prône la grève des moutons http://www.bibliobernt.net/Ipad-Je-prone-la-greve-des-moutons.html

    • B. Majour dit :

      Les DRM sauteront quand les auteurs publieront directement pour et vers leurs lecteurs… ou quand les lecteurs exigeront de pouvoir transférer leurs livres (oeuvres) achetés où bon leur semblera. (sans devoir repayer la taxe de support)

      J’aime bien aussi l’idée que les libraires (et donc librarians) ne peuvent matériellement pas accéder à toutes les nouveautés, et donc il faudra faire confiance à la toute puissante communauté de lecteurs qui ira lire la totalité des oeuvres.

      On y croit, on y croit… sauf que, si les éditeurs confidentiels se sont adressés à des libraires depuis des décennies, c’est bien parce qu’une diffusion à ces gens leur ouvraient des fenêtres sur la grande communauté des lecteurs.
      Sans quoi, ils seraient restés invisibles dans le néant de la masse éditoriale.

      Si 20 % des livres accaparent 80 % des lecteurs… je vois mal, mathématiquement parlant, comment les 80 % des livres restants pourraient être lus, critiqués, mis en avant par les 20 % de lecteurs qui restent.

      Sauf à les payer pour ça… Zut, ça s’appelle un libraire.
      Qui, il me semble, vit de ce qu’il vend et de ce qu’il conseille. (sauf à être magasinier de grandes surfaces)

      Bien sûr, un libraire ne peut pas lire toute la production. Mais il peut déjà lire les catalogues des éditeurs… et on sait bien que toutes les communautés de lecteurs épluchent, en permanence, les catalogues des éditeurs, voire même les catalogues prévisionnels.

      Ah non, tiens. Ça n’a rien de « bandant » un catalogue, deux catalogues, trois catalogues. Ça use juste énormément. 🙂  Pour un plaisir de lecture, nul.

      Note : si le bibliothécaire avisé analyse la dernière remarque du catalogue, il aura certainement compris le sens caché de « Pour un plaisir de lecture, nul. »

      Bref, on y croit, on y croit, on y croit… Vive la grande communauté des lecteurs dévorants.

      Pssst ! Si la communauté des livrodévorants me lit. Vous pourriez commencer par les thèses dans le domaine des bibliothèques, afin de les noter entre 1 et 5 étoiles et de les résumer un brin. (parce que ça m’intéresse)
      La Thèse : parfait exemple du « petit » éditeur, s’il en est, cherchant son public ou au moins sa dizaine de lecteurs… Euh, sa poignée de lecteurs ?

      Enfin bon, je crois que c’est clair : certains s’illusionnent sur le pouvoir de l’énorme communauté de lecteurs face à l’Everest de la production annuelle !

      Et encore, il ne s’agit que de la production francophone, traduction comprise.

      Mais on y croit, on y croit !
      Si, si.  🙂

      Bien cordialement
      B. Majour