E-Fractions : le livre numérique en bibliothèque sans peur et sans jetons

confianceQu’on ne s’y trompe pas, le débat autour de PNB (bien résumé dans cet article de la Gazette) marquera profondément notre profession.  Même si l’offre se développe en volume, je reste persuadé que PNB ne propose ni un modèle d’accès ni un modèle d’achat adapté aux bibliothèques. La question est avant tout celle de la capacité des bibliothécaires à s’informer sur les offres, à s’organiser et à convaincre les acheteurs publics que sont les collectivités de pratiquer des médiations orientées vers la diffusion des savoirs et des savoir-faire. Ce débat n’a rien d’idéologique comme certains essaient de le faire croire. C’est un débat de politique culturelle qui s’incarne dans les actions concrètes des uns ou des autres. Allez vous céder aux demandes politiques en adhérant à une offre qui risque d’impacter vos budgets et le temps de travail de vos équipes durablement? Allez-vous au contraire informer vos élus en démontrant que les vrais enjeux (et les ressources)  sont à mobiliser dans la médiation et la circulation des textes et des idées quitte à faire des choix et refuser les offres actuelles? Allez-vous travailler au développement d’alternatives pour le démontrer?  Nous avons la chance d’avoir des gens qui croient à la force des textes littéraires et qui pensent que le numérique est une chance pour la circulation des idées. Franck-Olivier Laferrère est l’un d’entre eux, il a fondé E-Fractions il y a 3 ans, il a inventé un mode de circulation du livre en bibliothèque : les Ebookcartes qui repose sur la confiance (SANS DRM), sur la matérialité et sur la qualité des textes. Pas de jetons ici, pas de prêts limités à 3 semaines, la possibilité de faire vivre la longue traîne. Je vous invite à lire cette tribune qu’il a publié dans Le Monde :

Voici ce à quoi ressemble un ebook-carte : Screen Shot 03-19-16 at 04.15 PM Comment ça marche? Franck-Olivier Laferrère m’a apporté des précisions pour avoir une vision très claire du modèle :

  • Le système est très simple et parfaitement interopérable. La bibliothèque achète des carte sans DRM ou prête directement en ligne. La bibliothèque achète autant d’exemplaires qu’elle le souhaite (un exemplaire = une carte). Par exemple, Narbonne achète d’ailleurs souvent par 3, voir 6 ou 10 exemplaires les titres du catalogue. Une carte peut être prêtée comme un livre, elle est donc équipée par la bibliothèque, le lecteur doit alors s’identifier avec un code unique pour télécharger une fois pour toute le fichier au format qu’il souhaite, il en dispose à vie. Il est également possible de matérialiser chaque prêt en carte soit 1 exemplaire = 25 prêts = 25 cartes pour un petit surcoût de 1,60€ pour les 24 cartes de prêt. Une solution de prêt en ligne (gratuite) existe également via une page cachée dédiée à la seule Bibliothèque sur notre plateforme où sont stockés tous les titres achetés. Un petit formulaire de demande de code renvoie à la Bibliotheque qui peut ainsi identifier l’adhérent avant de lui communiquer les codes qu’il souhaite.
  • Le libraire peut parfaitement être soutenu dans ce modèle et les auteurs sont bien mieux rémunérés que dans PNB. La bibliothèque achète par titre ou l’ensemble du catalogue à son libraire qui obtient 40% de remise qui lui-même peut pratiquer s’il le souhaite (c’est le cas de Sauramps avec Narbonne) et 9% de remise à la Bibliothèque. Les auteurs sont quant à eux rémunérés 25% et e-fractions diffusion 10%
  • La chaîne du livre est envisagée sous l’angle de la confiance interprofessionnelle, pas avec des moyens de contrôle des usagers. Le contrat de confiance est de 25 prêts par carte, après la bibliothèque s’engage à acheter à nouveau le livre numérique. Il s’agit d’une charte rédigée de manière à protéger la Bibliotheque des éventuels mauvais usages de ses adhérents. Ainsi il y est stipulé que compte comme prêt : le prêt physique d’une carte, l’envoi d’un code, le prêt d’une tablette ou liseuse chargée d’un titre mais en aucun cas le téléchargement multiple qu’effectuerait un adhérent.

Alors oui, mais comment construire un dispositif de médiation autour de cette offre? Sylvain Panis, Directeur de la Médiathèque du Grand Narbonne a fait avec ses équipes un important travail en partenariat avec l’éditeur E-Fractions. Il a bien voulu répondre à mes questions. Vous avez organisé une opération d’ampleur autour des ebookcartes proposées par E-Fractions. Pouvez vous nous décrire cette opération? Screen Shot 03-19-16 at 04.23 PM En mai 2014, le service culture de la communauté d’agglomération du Grand Narbonne initiait un Salon du livre ouvert à tous les genres – littérature, bande-dessinée, documentaires, livres d’artiste…- à tous les âges et, surtout, à tous les types de support, incluant le numérique. Le volet numérique était important car le Salon se voulait moderne, en phase avec son temps. Au même moment, nous rencontrions les Editions E-Fractions basées dans l’Hérault qui édite et diffuse des e-books sous forme de cartes cartonnées. Les cartes se présentent comme des jaquettes de livres : couverture illustrée au recto, résumé/accroche au verso. On accède au e-book en flashant un QR code et en entrant un code inscrit sur la carte. La ligne éditoriale des Editions E-Fractions est très particulière : c’est de la littérature contemporaine, souvent engagée, urbaine. On est loin des best-sellers habituels. En même temps, le modèle économique est original et séduisant pour les bibliothèques : pas de DRM, prix inférieur au livre de poche. Surtout, le support matériel « carte » constitue un formidable outil de médiation entre l’e-book et les publics, même réfractaires au numérique. Nous avons pu ainsi annoncer aux usagers et par voie de presse, qu’à l’occasion du Salon « des livres numériques allaient être distribués gratuitement aux visiteurs ». Annonce quelque peu insolite pour des e-books qui, par définition, sont «dématérialisés ». Le support e-book carte a justement permis cette distribution, de manière simple, notamment sans avoir besoin d’appareils informatiques. Les e-books cartes étaient présentés sur le stand de la médiathèque, à proximité du stand E-Fractions. Le personnel avait été formé pour expliquer leur fonctionnement aux publics. Nous n’avons pas « forcé la main » des visiteurs, ceux-ci sont venus d’eux-mêmes sur le stand. Le design des cartes, la qualité des illustrations n’ont pas été étrangers, je crois, à leur attractivité. Quels ont été les retours des publics, avez vous des données quantitatives et qualitatives? Plus de 7000 cartes ont été distribuées sur deux jours, sur un stock de 12 500, couvrant plus de 50 titres des Editions E-Fractions ou des éditeurs diffusés par E-Fractions (Snowmoon, Cadex, Quidam, Le Serpent à Plumes…). Les titres qui ont rencontré le plus de succès ont été les e-books destinés aux enfants, dont le stock –environ 200 cartes – a été épuisé avant la fin de la manifestation. Plus de 2000 téléchargements de e-books ont été effectués les jours suivant l’opération. Détail intéressant : la grande majorité des téléchargements ont été réalisés au format e-pub et non pdf, ce qui signifie que les personnes intéressées étaient équipés d’outils de lecture numérique. Indéniablement, l’opération a permis d’ajouter la touche « numérique » et moderne que nous souhaitions pour le Salon. Ceci sans rompre radicalement avec le livre traditionnel et les publics peu habitués, puisque les e-books cartes matérialisent le livre. Difficile de savoir si l’opération a permis réellement de convertir de nouveaux lecteurs au numérique. Ce qui est certain, c’est que des milliers de personnes ont vu qu’il existait d’autres manières de lire et d’accéder à des œuvres écrites. Mais le support ne fait pas tout : nous avons aussi par ce biais fait la promotion d’une certaine littérature dont on ne parle pas souvent dans les média et que nous avons envie de défendre. Nous avons eu des retours très positifs de nos habitués sur la qualité du contenu. Quel a été le coût de l’opération? Coût de l’opération : 1500 euros environ pour l’achat des ebooks-cartes en 2014 ; le budget était similaire en 2015. Si on compare avec le mode de fonctionnement de PNB, les ebookcartes facilitent-elles le travail de médiation des bibliothécaires? Les œuvres proposées sous PNB restent « virtuelles ». Avec les e-book cartes, les livres numériques sont malgré tout matérialisés. C’est un parfait intermédiaire entre le livre traditionnel et le livre numérique. Cela peut aider des personnes à franchir le pas. Comme des livres traditionnels, les cartes peuvent être proposées dans la bibliothèque sur des présentoirs ou des étagères, ou encore circuler lors d’animations ou de clubs de lecture, sans nécessairement avoir besoin des appareils de lecture. Par ailleurs, si accéder au e-book carte nécessite il est vrai une série de manipulations (accès au portail en ligne, entrée du code, choix du format, réception sur la boite e-mail, etc.), l’absence de DRM facilite grandement les choses pour les lecteurs. Le livre numérique, comme la carte, ne disparaît pas après un temps de consultation. Enfin, pour qu’une bibliothèque puisse proposer l’offre PNB à ses publics il lui faut un certain budget, inaccessible à l’heure actuelle aux petites structures. Ce n’est pas le cas des e-book cartes. Ces cartes sont une solution pour permettre aux petites bibliothèques de proposer une offre numérique avec peu de moyens financiers et techniques. Allez vous renouveler ce type d’opération et pérenniser cette offre? L’opération a été renouvelée pour le Salon de 2015 avec un catalogue élargi et un succès identique Les cartes non distribuées lors de la manifestation ont été proposées dans les espaces de la Médiathèque (à l’accueil et en section Littérature). Le stock s’écoule plus doucement que lors du Salon. Les cartes ne bénéficient pas de la médiation constante que l’on trouve sur la manifestation. Là aussi, ce sont les e-books cartes jeunesse qui rencontrent le plus de succès. L’opération sera à nouveau renouvelée cette année 2016, avec quelques innovations qui seront dévoilées peu avant le Salon. Enfin, l’offre E-Fractions est également disponible pour les abonnés de la médiathèque depuis notre site Internet. La procédure pour accéder à un e-book en ligne est encore un peu lourde – PNB marque des points de ce point de vue – mais nous avons allons mettre en œuvre des solutions pour en faciliter l’accès. Si la diversité des modèles est souhaitée par l’ensemble de l’interprofession et vu que la Drac Île-France vient d’annoncer des aides pour PNB, où sont les les dispositifs d’aides orientés vers ceux qui proposent autre chose que des DRM chronodégradables et des jetons? 

Silvae

Je suis chargé de la médiation et des innovations numériques à la Bibliothèque Publique d’Information – Centre Pompidou à Paris. Bibliothécaire engagé pour la libre dissémination des savoirs, je suis co-fondateur du collectif SavoirsCom1 – Politiques des Biens communs de la connaissance. Formateur sur les impacts du numériques dans le secteur culturel Les billets que j'écris et ma veille n'engagent en rien mon employeur, sauf précision explicite.

2 réponses

  1. Bonjour,
    enfin un modèle alternatif crédible en bibliothèque (plus convaincant qu’OverDrive, en tout cas) !
    Bravo à e-fractions d’avoir fait évoluer son modèle pour le prêt collectif.
    Deux questions :
    – cette offre est intéressante car matérialisée en bibliothèque : elle impose de passer dans les murs de la bibliothèque, pour récupérer la carte et le code, ce qui facilite le contact et la médiation. Mais comment est-ce que cela se passe à distance pour gérer les emprunts ?
    – j’aime beaucoup l’idée de confiance, qui permet de donner-prêter des livres sans DRM et sans chronodégradabilité. Si certains éditeurs ont suivi, qu’en est-il des autres ? Si les éditeurs indépendants et la longue traine intéressent certains usagers habitués (en témoigne le téléchargement ePub plutôt que PDF, en effet), il faut aussi des titres très connus du grand public pour convaincre les primo-lecteurs numériques. Ou alors un travail de médiation que bien peu de bibliothèques publiques ont encore les moyens humains de mener…
    Bref, dans les contraintes actuelles de réduction de postes en BM, développer le numérique passe aussi par des objets faciles à valoriser, vite adoptés : blockbusters en VOD, best-sellers littéraires, etc. On peut proposer en plus des offres comme celle d’e-fractions, mais on ne convaincra pas nos élus ou nos lecteurs avec seulement une offre de ce type, malheureusement. Voir l’expérience de Publie.net et de la littérature contemporaine avec les BU par le passé, par exemple.
    Donc, oui, PNB pose des questions de politique culturelle, qui vont bien au-delà des questions de jetons, offres, intermédiaires, etc.
    Et donc, oui, il faut en débattre, sans idéologie, mais sans écarter d’emblée certains modèles, si imparfaits soient-ils.

  1. 3 avril 2016

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